À 28 ans, je revendique le féminisme, la liberté et la parole dans un monde patriarcal et violent. Je voyage seule, parcours la France à pied, dors dans la forêt. Que ce soit sur papier glacé ou sur les réseaux sociaux, je m’exprime sans tabou ni pudeur. Autoportrait.
(Avertissement : violences sexistes et sexuelles)
La première agression sexuelle, j’ai 19 ans. Sur une plage, un homme me claque les fesses. Je ne réagis pas. Bien d’autres agressions suivront cet épisode : violences conjugales à 21 ans, viol par surprise à 22 ans, harcèlement sexuel à 23 ans. En 2018, je découvre l’autodéfense féministe et j’apprends à dire “Non”, à crier “Au feu”, à fuir loin de l’agresseur, et même à casser des genoux. En 2021, je demande à la tatoueuse lilloise Chien Fou d’inscrire les trois lettres N-O-N en rouge, sur ma nuque. Face aux hommes et au patriarcat, je n’ai plus peur. Je me lève et je me casse, comme l’écrit Virginie Despentes dans sa tribune de Libération.
Je m’appelle Marie Albert, j’ai 28 ans et je vis en banlieue parisienne. Je me définis comme une femme cisgenre [1], célibataire, pansexuelle, blanche, jeune, mince, athée et d’origine bourgeoise. Je travaille comme aventurière, journaliste et autrice féministe. J’ai longtemps œuvré pour le système. J’ai passé un bac littéraire, étudié à Sciences Po Lille puis à l’École Supérieure de Journalisme de Lille. J’ai fait un an d’échange universitaire à Moscou, en Russie. J’ai travaillé deux ans à l’Agence France-Presse, à Paris. Et puis un jour, un collègue qui me harcelait sexuellement depuis six mois, dans mon service de l’AFP, m’a posé la question à connotation sexuelle de trop. Je lui ai répondu “Non”, je l’ai confronté à son harcèlement, et j’ai dénoncé son comportement à notre hiérarchie. Comme nombre de victimes, je n’ai pas été soutenue, et mon collègue a été protégé. J’ai fait une dépression, demandé un arrêt de travail à ma psychiatre, pris des antidépresseurs, et finalement quitté l’AFP, à la fin de mon CDD. L’entreprise ne m’a jamais proposé de nouveau contrat, par la suite. J’en ai profité pour investir mes derniers salaires dans un projet rêvé : prendre un billet sur trois cargos de la compagnie française CMA CGM et faire le tour du globe en porte-conteneurs, en quatre mois. Début 2019, je me retrouve sans emploi, au milieu de l’océan Pacifique, entouré d’hommes marins sexistes, et je me demande quoi faire de ma vie.
Je choisis de devenir pigiste, c’est-à-dire journaliste rémunérée à l’article par les rédactions. Dans We Demain, je publie une première enquête sur le sexisme des marins, “Seule avec les relous de mer”. Je reviens en France déterminée à trouver la paix et la sécurité, à faire valoir mes droits et à vivre de mon métier. Je décide d’écrire un livre féministe tiré de mon tour du globe en cargo, et titré La Puissance. Aucune maison d’édition ne souhaite le publier. En octobre 2019, je termine le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, après deux premières étapes bouclées en 2016 et 2018. J’ai parcouru 1800 kilomètres au total jusqu’à la ville sainte, moi qui suis athée. Il s’agit de mon premier périple à pied seule, et j’en arrive à bout exténuée et enrhumée. Là encore, j’entreprends d’énumérer les violences sexistes et sexuelles que j’ai endurées sur le chemin (en compagnie d’autres femmes) dans un article publié dans We Demain et intitulé “Harcelée jusqu’à Compostelle”. Comme souvent, je suis cyberharcelée après la publication de l’enquête par des habitué·es du chemin de Saint-Jacques. Iels m’affirment que j’affabule, ou que les violences que j’ai subies sont méritées : “Vous l’avez bien cherché”.
Sur les réseaux sociaux, je reçois fréquemment des vagues de haine, de la part de masculinistes qui s’opposent à mon féminisme affiché. Je parle librement de sexualité, de misandrie (haine des hommes) et de célibat, dans mes podcasts Marie Sans Filtre (récits intimes et féministes) et Sologamie (dédié aux célibataires qui n’ont besoin de personne). Je ne désire pas d’enfant, jamais, et je le dis. À l’été 2020, j’initie un tour de France à pied, nommé Survivor Tour, en partant de Dunkerque, dans le Nord. J’ambitionne de dormir dans la forêt, sous ma tente, et de parcourir 10 000 kilomètres le long des côtes et des frontières françaises, au cours de plusieurs étés. Je veux dénoncer et combattre les violences sexistes et sexuelles dont je suis victime, tout en marchant : exhibitionnistes, hommes qui m’expliquent la vie, me suivent, me draguent ou me harcèlent, et autres agressions sexuelles… Au cours de mon Survivor Tour, j’en subis d’ailleurs plusieurs. Mais je poursuis mon chemin, quoi qu’il m’en coûte. Au 15 octobre 2021, j’ai parcouru 3000 kilomètres et rejoint la ville d’Arcachon, en Gironde. Je suis blessée – deux tendinites aux tendons d’Achille – mais fière de ma solitude et de ma force.
Seuls freins à mes périples et à mes ambitions : mes parents toxiques, et ma maladie chronique. Je souffre de vestibulodynie, une douleur persistante à la vulve, depuis cinq ans. Je ne peux plus porter de pantalons, et même la simple station assise m’est pénible. Je ne trouve aucun remède à mon mal, qui s’aggrave d’année en année. Dans We Demain, je signe un article à sujet, dans lequel j’explore le pouvoir du clitoris pour soulager les douleurs. Quant à ma famille, je dois affronter les critiques et les attaques constantes de ma mère, qui ne comprend pas mes choix de vie, estime que ma maladie s’explique par mes “trop nombreux” partenaires sexuels, et souhaite me voir changer. Il se trouve que je suis libre, que je suis précaire mais que j’ai choisi cette vie d’aventure, grâce aux privilèges et à l’argent transmis par mes parents.
Je n’ai jamais peur de parler. J’ai déjà porté plainte six fois pour des violences sexuelles, contre six personnes différentes. Aucune de ces procédures n’a abouti, pour l’instant. J’ai confiance en moi, mais pas en la police, ni en la justice. Je n’entretiens plus aucune relation amoureuse ou sexuelle avec les hommes cisgenres. J’ai choisi le célibat, le télétravail, et les voyages solo. 6000 personnes me suivent et me soutiennent sur les réseaux sociaux. Je porte un espoir démesuré dans les générations suivantes, alors que les précédentes ont couru après le profit, la consommation et la violence. Je rêve d’un monde sans discrimination ni pouvoir, dans lequel le vivant sous toutes ses formes serait respecté. Un espace dans lequel je ne craindrais pas d’être censurée ou harcelée pour cet autoportrait.
Marie Albert
19 mai 2022 – We Demain
Le titre de cet article a été inspiré par le film Portrait de la jeune fille en feu, écrit et réalisé par Céline Sciamma.
[1] Cisgenre : qui s’identifie au genre qui lui a été assigné à la naissance
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