Ce texte est la version écrite de l’épisode 53 de mon podcast Marie Sans Filtre, qui est diffusé gratuitement sur toutes les plateformes d’écoute, ou à cette adresse https://shows.acast.com/mariesansfiltre
Vous le savez peut-être : je souffre de dépendance affective depuis quelques années. J’en parle dans plusieurs épisodes du podcast. Le meilleur exemple, c’est l’épisode 35 intitulé “Survivor Tour : je survis à la dépendance affective”. En gros, je m’attache très vite aux personnes avec qui je fais du sexe et je souffre du manque en leur absence, quand bien même je les connais depuis deux jours. Je trouve que les applications de rencontre encouragent ma dépendance affective et donc je les déteste.
Pourquoi ? Mon argumentation en trois points :
- Les applications de rencontre accélèrent les relations affectives. On est là pour pécho donc les échanges tournent très rapidement autour de la séduction et du sexe. Je vous précise que ce n’est que mon point de vue et mon vécu, il n’est pas représentatif de toute la société et vous n’êtes pas forcément d’accord. Par exemple, ma meilleure amie adore les applications de rencontre et vit sa meilleure vie dessus. Je suis très contente pour elle. Mais moi, elles m’empoisonnent la vie parce que les messages que j’échange avec des gens dessus sont tout de suite très intenses. Or j’ai remarqué que je ne souffre pas de dépendance affective quand je commence doucement une relation avec quelqu’un, c’est-à-dire amicalement. Si je rencontre une personne dans un club de sport, par exemple, je vais d’abord m’intéresser à cette personne humainement, voir si on s’entend bien, si on peut être ami·es, avant de l’envisager autrement. Enfin, c’est ce que j’essaie de faire. Et dans ce cas, je m’attache très progressivement à la personne et nos sentiments peuvent arriver tout aussi progressivement. Mais sur les applications de rencontre, nous échangeons directement sur le mode de la drague, donc je m’emballe et je mets directement la personne sur un piédestal. Je l’idéalise et je me vois faire ma vie avec elle alors qu’on se connaît depuis deux jours. À un moment, on se rencontre. Si le premier date se passe bien et qu’on en a envie, on s’embrasse et on couche ensemble. Le lendemain, c’est le drama parce que je suis en manque de ma drogue = son attention et son amour. Je souffre alors de dépendance affective et je suis prête à tous les sacrifices pour revoir cette personne le plus tôt possible. Je ne pense qu’à elle 24h/24 et j’attends désespérément ses messages. Je regarde mon téléphone toutes les cinq minutes pour vérifier si iel m’a écrit ou non. J’imagine les pires scénarios comme les meilleurs.
- Sur les applis, je suis toujours attirée par le même genre de personnes. J’ai arrêté d’utiliser les applications de rencontre en 2020, suite au confinement. Je raconterai cet épisode un peu plus tard dans cet épisode. Jusqu’en 2020 donc, je ne draguais que des mecs cisgenres (qui s’identifient au genre qui leur a été attribué à la naissance, à la différence des mecs transgenres) sur les applications de rencontre. Et je ciblais toujours le même type de mec : parisien (j’habitais à Paris), bourgeois (même classe sociale que moi : il est artiste ou développeur ou journaliste), principalement blanc et hétérosexuel. Jeune, beau et mince. Il fallait qu’il ait une photo de profil à son avantage, qu’il me plaise physiquement. Grand et brun avec une barbe de trois jours. Des mecs solitaires qui n’ont pas beaucoup de temps à m’accorder, travaillent beaucoup et ont plein de failles psychologiques. Qui savent bien parler, bien écrire. Ils ne font pas de fautes d’orthographe à l’écrit, ou très peu. Ils ont tous un smartphone dernière génération. Ils sont un peu perdus dans leur vie sentimentale. Ils n’ont pas été amoureux depuis longtemps, voire jamais. Ils sont “bloqués émotionnellement”, “ne peuvent pas tomber amoureux”. Et moi, je crois naïvement que je vais les débloquer. Évidemment, dater un mec coupé de ses émotions n’est pas bon pour moi puisque je vais immanquablement souffrir dès lors que je m’attacherai à lui et lui pas. Il me dira des mots doux à force de m’entendre en dire mais il les oubliera dès le lendemain. Et moi je croirai que j’ai rencontré “l’homme de ma vie”. Je me sentirai dépendante de lui. Je ne sais pas pourquoi je parle au futur, soudainement. Tout cela s’est passé dans le passé. Principalement entre 2017 et 2020. Je tournais autour de 25 ans. Les mecs que je datais plutôt autour de 30 ans. Comme par hasard. À l’été 2019, j’ai lu l’essai L’Amour sous algorithme écrit par Judith Duportail et publié aux éditions Goutte d’or. Je vous le recommande si vous ne l’avez pas encore lu parce qu’il est court et passionnant. Judith Duportail est journaliste et elle raconte sa vie de meuf hétéro sur Tinder. Elle enquête sur les algorithmes des applications de rencontre : Tinder attribue par exemple une “note de désirabilité” aux utilisateur·ices de l’application. Tout le monde n’a pas la même “chance” de pécho et ce n’est pas un hasard si je “matche” toujours avec le même genre d’hommes, un peu plus âgés que moi. Bien sûr, je peux aussi choisir le même genre d’hommes dans le monde physique, mais c’est plus compliqué de les dénicher. Sur les applications de rencontre, je me reproduis facilement avec des mecs de la même classe sociale. Avec des mecs qui se rassemblent tous et ne tiennent pas à moi.
- Car les applis permettent aux hommes cis hétéros de nous laisser des miettes de pain en toute détente. Ils gèrent plusieurs relations en même temps, se lassent et choisissent une autre meuf, nous rappellent quand ils s’ennuient ou que l’autre meuf les a jetés. Or les miettes de pain – breadcrumb en anglais – me rendent dépendante affective. Moins un mec me donne d’attention, plus il laisse de miettes de pain (il met trois jours à répondre à mon SMS, il reprogramme trois fois un date avant de l’honorer, etc.), plus je le kiffe et plus je souffre psychologiquement. On parle quand même de situations dans lesquelles j’ai envie de mourir tellement j’ai mal. Les applications de rencontre permettent également aux personnes avec qui nous échangeons de nous ghoster facilement, de nous bloquer en trois secondes, de nous oublier du jour au lendemain. Si je sors avec une personne qui travaille dans la même entreprise que moi, c’est plus difficile pour elle de me ghoster. Il va falloir qu’elle me parle, qu’elle assume pour me larguer. Sur les applications de rencontre, j’ai bien conscience de n’être qu’une image, qu’un objet de désir pour des gars qui ne s’intéressent pas vraiment à moi. Dans le monde physique, je ne pense pas que les hommes s’intéressent vraiment aux femmes autrement que pour leur cul mais c’est pire sur Tinder. Je dois publier des photos à mon avantage, sexy. Je dois écrire une présentation pas trop longue et aguichante. Je me comportais comme un “objet de désir” et pas comme un “sujet de désir” quand j’utilisais les applis. Enfin, ça dépendait des fois. En 2017, je me suis retrouvée célibataire après cinq ans de couple. J’habitais à Lille, où je faisais mes études. J’avais envie de baiser tout ce qui bougeait. J’ai téléchargé l’application Happn qui nous met soi-disant en relation avec des gens qui se trouvent proches de notre localisation. Le premier soir, j’ai parlé à un gars qui habitait à 100 mètres de chez moi et je suis allée chez lui après l’avoir chauffé pendant une petite heure à peine. Je ne le connaissais pas. Mais je lui ai dit que j’avais envie de le baiser alors il m’a invitée dans son appart. Je suis arrivée chez lui et il était aussi beau que sur les photos. Il avait un énorme pénis mais je m’en suis servi pour me donner des orgasmes (il appuyait bien sur mon point G dans mon vagin donc c’était bien). Le lendemain, je suis partie et il n’a plus jamais voulu me revoir. Deux jours après, j’ai parlé avec un autre gars sur Happn et je suis aussi allée le baiser chez lui sans le connaître. Mais cette fois, c’était nul. N’empêche que j’avais la sensation d’être libre, de jouir de mon corps et de pouvoir baiser la terre entière (illusion) pendant cette période. C’était bien.
Maintenant, je souhaite partager ma brève histoire sur les applications de rencontre, en trois entreprises et trois gars :
- Adopte un mec : j’avais 18 ans (peut-être moins, peut-être plus) et je sortais avec un mec de mon âge. Mais je draguais d’autres hommes sur le site Adopte un mec. Je l’avais découvert avec ma meilleure amie. On se racontait nos histoires, ça nous amusait beaucoup de séduire des dizaines de gars. Ils se battaient pour attirer notre attention (c’est le principe du site Adopte un mec : les gars sont soit disant aux pieds des meufs, qui peuvent les “mettre dans leur caddie”). Un soir, j’ai chauffé un mec plus qu’un autre. On a décidé de faire une cam, de se masturber face caméra à distance. Il était plus âgé que moi. Je le voyais branler son pénis pendant que je me frottais le clitoris avec les doigts. Je ne sais pas si j’ai joui mais lui il a éjaculé je crois. Je me sentais très excitée et en même temps coupable (donc encore plus excitée) de “tromper” mon copain de l’époque en partageant cette intimité avec un inconnu. Je ne lui ai jamais reparlé mais c’était cool.
- Tinder : j’avais 23 ans et je sortais d’une longue relation. J’arrivais à Paris après mes études à Lille. J’ai téléchargé Tinder parce que c’était l’application à la mode. Un soir, j’avais rendez-vous avec un mec qui habitait pas loin de mon employeur de l’époque, l’Agence France-Presse. Quand je l’ai vu, il ne m’a pas plu mais je me suis forcée à boire un verre avec lui. C’était l’époque où j’aurais fait n’importe quoi pour être validée et aimée par un homme (cette époque est toujours d’actualité, mdr). Après une ou deux bières, j’étais bien bourrée et j’avais envie de le baiser. On est monté·es chez lui et je lui ai sauté dessus. J’avais des poils sous les bras et ça l’a traumatisé, ai-je appris plus tard parce qu’il a raconté notre nuit de baise sur le forum de masculinistes jeuxvideos.com quelque temps plus tard et que je l’ai découvert. J’avais mes règles alors il a refusé de me toucher le sexe parce qu’il avait “la phobie du sang”. En revanche, il a joui après que je l’ai sucé. Ça, il a bien aimé. Le lendemain, je suis partie dégoûtée par ce gars qui n’en avait rien à faire de mon plaisir (il ne m’avait pas touchée, même le reste du corps) et j’ai supprimé Tinder de mon téléphone à tout jamais. Plus tard, j’ai découvert qu’il m’affichait sur jeuxvideos.com en parlant de moi comme une “féministe nympho” méritant la note de 6,5/10 et qui l’avait “presque violé”. Les mecs en commentaires me traitaient de “lesbienne” et “trans” car j’avais les cheveux courts. Je lui ai demandé de supprimer ce contenu sur jeuxvideos.com et il a fini par le faire. Mais ça m’a traumatisée un peu plus des hommes. Je raconte d’ailleurs cette histoire dans l’épisode 31 de Marie Sans Filtre intitulé “Mon ex-plan cul me cyberharcèle”.
- OkCupid : j’ai découvert cette application en 2018. Elle est un peu étiquetée “gaucho” parce qu’il y a beaucoup de personnes “féministes”, “queer” et “politisées” dessus. Beaucoup de personnes du même milieu social que moi, également (les fameux artistes/développeurs/journalistes). J’ai fait de nombreuses rencontres grâce à OkCupid. Comme d’habitude, je m’emballais bien vite. En 2020 est arrivé le Covid et le premier confinement. Les quelques gars que j’avais rencontrés via OkCupid et avec qui j’avais gardé contact (à l’époque, je voulais multiplier les relations à la manière d’une bonne polyamoureuse bien qu’ils ne me laissaient que des miettes de pain) ont arrêté de me parler, sachant qu’on était tous·tes confiné·es dans des endroits différents. Après le confinement, certains m’ont recontactée. Après un énième lapin posé par l’un d’entre eux, j’ai dit stop. J’en avais marre des mecs et des applications de rencontre. J’ai désinstallé OkCupid et les autres. J’ai dit adieu à ces gars et je les ai bloqués pour être sûre qu’ils ne me recontacteraient plus. S’en est suivie une période d’un an sans aucun contact avec la gent masculine (bon, c’était aussi le Covid et les confinements qui empêchaient les rencontres). J’ai fini par retomber dépendante affective d’un connard mais je n’ai plus jamais utilisé d’application. Je ne dis pas que je ne le referai plus mais étant donné ma facilité et ma préférence à pécho dans le monde physique (je sais très bien pécho en soirée et j’adore ça), je n’en ai pas besoin. Et petit rappel : les applications de rencontre rapportent de l’argent à de grandes entreprises détenues par des HOMMES CIS BLANCS HÉTÉROS ! Ils se font des tunes sur notre cul. Qu’ils aillent bien se faire ****** Draguer sur les applis prend un temps infini que je consacre désormais à autre chose : par exemple enregistrer des podcasts féministes, lire des livres féministes et faire un tour de France à pied féministe 😉
Pour finir, je voudrais dire que les applications de rencontre peuvent être utiles à Paris et dans d’autres grandes villes. Mais j’ai tenté de trouver des meufs sur les applis quand j’habitais à Alençon (petite ville) dans l’Orne et c’était quasiment impossible. Je n’ai pas testé les applis à Cherbourg mais j’imagine que trouver des personnes queer doit être une galère ici aussi. En plus, il existe tellement d’applications différentes maintenant qu’il faut toutes les tester pour faire un minimum de rencontres intéressantes. Et je pense aux personnes qui habitent à la campagne et à qui les applications de rencontre ne proposent PERSONNE dans les environs.
Marie Albert
13 juin 2023
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