Ce texte est la version Ă©crite de lâĂ©pisode 47 de mon podcast Sologamie, qui est diffusĂ© sur toutes les plateformes dâĂ©coute : https://shows.acast.com/sologamie
Aujourd’hui, je vous dis combien je gagne dâargent par mois, comment je fais pour vivre de mon travail (ou pas) et quel avenir je vois au niveau des tunes.
Je dois vous confier quelque chose dâimportant. Le 11 dĂ©cembre 2020, jâai publiĂ© dans mon autre podcast Marie Sans Filtre un Ă©pisode qui sâappelait âJe suis une pauvre richeâ. Il a dĂ©clenchĂ© une polĂ©mique sur le groupe Facebook fĂ©ministe âLes Paupiettes de Coquineâ, dont je faisais partie Ă lâĂ©poque. Des fĂ©ministes se sont justement demandĂ© si jâĂ©tais lĂ©gitime Ă me dĂ©finir comme âpauvre richeâ alors que jâĂ©tais juste riche. Dans cet Ă©pisode de podcast, jâexpliquais que j’avais 35 000⏠de cĂŽtĂ© mais que je me dĂ©finissais comme prĂ©caire, voire pauvre, parce que je nâavais pas dâemploi stable. Je touchais les allocations chĂŽmage. Quelques mois plus tard, jâai perdu ces allocations et jâai demandĂ© le Revenu de solidaritĂ© active (RSA), soit environ 500⏠par mois dans mon cas. Mon travail dâaventuriĂšre, journaliste et autrice ne mâa jamais apportĂ© de revenu stable.
Et quand je tape sur un moteur de recherche âEst-ce que je suis riche ?â, tous les rĂ©sultats me disent que je suis âpauvreâ, que je vis en dessous du seuil de pauvretĂ© (1 158 euros par mois pour une personne seule) Ă©tant donnĂ© mon revenu mensuel. Mais ces simulateurs ne prennent en compte que le salaire, et pas le patrimoine personnel, ni celui des parents, ni la classe sociale dâorigine !
Jâai mal vĂ©cu la polĂ©mique aprĂšs la publication de mon podcast car je me suis vexĂ©e. Je me suis sentie illĂ©gitime, rejetĂ©e. Mais jâai compris les critiques des fĂ©ministes et je me suis remise en question. Jâai modifiĂ© le titre de lâĂ©pisode âJe suis une pauvre richeâ qui est devenu âMon rapport Ă lâargentâ. Câest lâĂ©pisode 25 du podcast Marie Sans Filtre, si vous voulez lâĂ©couter. Il est toujours en ligne. Je lâai moi-mĂȘme rĂ©Ă©coutĂ© avant dâenregistrer ce nouvel Ă©pisode sur lâargent, pour me rafraĂźchir la mĂ©moire.
Jây explique justement que câest difficile de reconnaĂźtre ses privilĂšges, pour une personne qui en dĂ©tient, mais que câest important. Or jâai toujours du mal Ă me dĂ©finir comme riche. Dans lâintroduction du podcast Sologamie, tu entends parfois que je me dĂ©finis comme âdâorigine bourgeoiseâ. Pourquoi est-ce que je ne dis pas simplement que je suis riche ? Câest une question de classe sociale. Cette classe sociale, je lâai hĂ©ritĂ©e de mes parents, qui sont elleux-mĂȘmes riches. Ce nâest pas parce que je fais un mĂ©tier prĂ©caire aujourdâhui (aventuriĂšre, journaliste et autrice donc) que jâai changĂ© de classe sociale. Mes parents mâont donnĂ© Ă©normĂ©ment dâargent depuis ma naissance. JâhĂ©riterai sans doute, avec ma soeur et mon frĂšre, de leur argent et de leur patrimoine Ă leur mort.
Pour rĂ©sumer, jâai grandi dans un milieu bourgeois et jâai frĂ©quentĂ© des Ă©coles bourgeoises. Mes parents ont tout payĂ© pendant mes Ă©tudes. Iels mâont encore versĂ© des âpensions alimentairesâ rĂ©guliĂšres (dans lâobjectif de payer moins dâimpĂŽts de leur cĂŽtĂ©) aprĂšs mon diplĂŽme. Iels ont arrĂȘtĂ© de me soutenir financiĂšrement, rĂ©cemment, pour la simple raison que câest incompatible avec mon RSA. Je ne peux pas cumuler pension alimentaire et revenu de solidaritĂ© active.
Ă la fin de lâannĂ©e 2020, jâavais environ 35 000⏠dâĂ©conomies, liĂ©s principalement Ă mon emploi prĂ©cĂ©dent de journaliste Ă lâAgence France-Presse (AFP). Aujourdâhui, le 21 mai 2024, quatre ans aprĂšs, jâai presque 50 000⏠dâĂ©conomies. Comment ai-je pu continuer dâĂ©conomiser alors que je gagne peu dâargent avec mon travail et que le RSA ne reprĂ©sente que 500⏠par mois, grand maximum ?
Je vous prĂ©cise que mon RSA est parfois supprimĂ© si je dĂ©clare âtropâ de revenus autres (articles payĂ©s en salaire par des mĂ©dias, cagnottes Tipeee et Patreon, droits dâautrice de mon livre La PuissanceâŠ) Ă la CAF (Caisse des allocations familiales). Je ne peux pas cumuler RSA et revenus professionnels, en fait. Le montant de mon RSA sâajuste en fonction de mon revenu du mois. Par exemple, si je vends 500⏠dâarticles Ă un mĂ©dia, alors mon RSA ne me sera pas versĂ© ce mois-lĂ . Bref, câest juste une allocation dâappoint qui ne permet pas de vivre dignement.
En fait, jâai rĂ©ussi Ă Ă©conomiser sur mes allocations chĂŽmage versĂ©es jusquâĂ lâĂ©tĂ© 2021 (1600⏠par mois), mes parents ont continuĂ© de me donner de lâargent jusquâen 2023 et jâai gagnĂ© 17 000⏠en justice lâannĂ©e derniĂšre. Jâen parle dans lâĂ©pisode 35 de Sologamie, si vous voulez savoir comment jâai fait.
Aujourdâhui, je vis dans un logement social qui ne me coĂ»te que 200⏠par mois grand maximum (loyer + Ă©lectricitĂ© + internet + assurance). Le reste du loyer est couvert par des allocations logement que je touche tous les mois. Je vis Ă Cherbourg, en Normandie, oĂč la vie est beaucoup moins chĂšre quâĂ Paris. Je dĂ©pense environ 1400⏠par mois pour ma vie quotidienne, tout compris. Je gagne environ 1000⏠par mois avec mon travail (piges, droits dâautrice, cagnottes) ou le RSA. Les 400⏠restants, je les prends dans mes Ă©conomies. Je peux vivre encore de nombreuses annĂ©es Ă ce rythme.
Je nâai pas de loyer cher, pas dâenfants ou de parents dont je dois mâoccuper, pas de dĂ©penses de santĂ© importantes. Je vis seule dans un HLM. Je suis cĂ©libataire sans enfant. Je mâentends mal avec mes parents, qui sont violent·es, mais si un jour jâai besoin de soutien financier et ou de vivre chez elleux, je sais quâiels mâaccueilleront dans leur grande maison en rĂ©gion parisienne. Iels gagnent entre 4000⏠et 5000⏠de salaire par mois, chacun·e. Iels sont millionnaires, dans le sens oĂč iels ont des Ă©conomies, iels possĂšdent des actions en bourse, iels sont propriĂ©taires de nombreux logements quâiels louent Ă des Ă©tudiant·es. Mon pĂšre possĂšde mĂȘme sa propre entreprise. Sans parler des 4 voitures de la famille⊠Leur patrimoine total est bien supĂ©rieur Ă 1 000 000âŹ. Donc le capital financier et culturel quâiels mâont transmis mâa permis de construire la vie que jâai aujourdâhui. Je sais quels droits ou allocations je peux demander, je sais Ă©crire des mails ou des lettres formelles pour les demander, je sais nĂ©gocier un salaire ou me battre en justice.
Certes, je cotise peu pour le chĂŽmage ou la retraite avec mes revenus actuels. Je ne paie pas dâimpĂŽts. Je vois mon frĂšre qui a deux ans de moins que moi, qui a un emploi bien payĂ© en CDI, qui est dĂ©jĂ propriĂ©taire de son appartement Ă Lyon. Moi, je ne peux pas faire dâemprunt pour acheter un logement et devenir propriĂ©taire. Je me sens en colĂšre contre ce systĂšme capitaliste qui favorise les hommes cisgenres blancs et bourgeois, comme mon frĂšre.
Mais je reste une personne riche, une personne privilĂ©giĂ©e. Jâappartiens Ă la classe sociale des plus riches de ce pays. Jâai leur code et leur Ă©ducation. Le public de mon podcast Sologamie me ressemble probablement. Jâai un travail prĂ©caire, mal rĂ©munĂ©rĂ©, mais je peux payer mes courses chaque mois, manger Ă ma faim et me chauffer dĂ©cemment dans mon logement. Je peux mĂȘme partir en voyage, acheter des billets de trains chers ou un vĂ©lo Ă assistance Ă©lectrique.
Pour aller dans le détails de mes revenus actuels, sur les 1000⏠que je gagne maximum par mois avec mon travail ou le RSA, je compte :
- 500⏠de RSA (souvent beaucoup moins comme expliqué plus tÎt)
- 300⏠de piges (articles payĂ©s en salaire par des mĂ©dias) ou de droits dâautrice (livre La Puissance)
- 50⏠de ma page Patreon pour soutenir mon podcast Sologamie (merci à toutes les personnes qui participent, au nombre de 13 à ce jour)
- 150⏠sur mes cagnottes Tipeee (lâune est personnelle et lâautre liĂ©e Ă mon dĂ©compte des infanticides)
Quand je me suis lancĂ©e comme aventuriĂšre, journaliste et autrice indĂ©pendante en 2019, je me donnais 3 ans pour âpercerâ. Je pensais que jâallais devenir une âstarâ. Que lâune de mes productions allait âmarcherâ. Soit mon livre La Puissance, soit mes podcasts Marie Sans Filtre ou Sologamie, soit mon Survivor Tour de France Ă pied, soit mes enquĂȘtes dans la presseâŠ
Cinq ans aprĂšs, je nâai pas Ă©puisĂ© mes Ă©conomies, comme je le craignais alors, mais je nâai pas percĂ© non plus. Je ne suis pas devenue une star. Je nâai jamais atteint les 10 000 abonné·es que je visais sur Instagram. Aucun de mes podcasts nâa dĂ©collĂ©. Mon livre nâa pas fait un carton. Je peine toujours Ă trouver des mĂ©dias pour acheter mes articles. Mon tour de France Ă pied est le projet qui âmarcheâ le mieux : il attire lâattention. Mais je nâai jamais atteint le salaire fixe de 2000⏠net par mois que je visais. Quand jâai 1000âŹ, je suis contente.
Jâestime que mon travail mĂ©rite une rĂ©munĂ©ration. Mais je me sens heureuse dans mon quotidien. Je travaille Ă mon rythme : quatre jours par semaine, uniquement lâaprĂšs-midi, entre 15 et 20 heures au total. Je prends des vacances trĂšs rĂ©guliĂšrement. Je dĂ©-travaille en fait. Alors jâaccepte cette âprĂ©caritĂ©â, pour lâinstant. Parce que je serai toujours riche, Ă lâabri des problĂšmes financiers grĂące Ă mes parents, grĂące Ă ma classe sociale. Je ne ressens pas dâangoisse.
Je cherche simplement la reconnaissance des autres, parce que je manque de confiance en moi. Et la reconnaissance par le salaire ou la cĂ©lĂ©britĂ©, ça me fait rĂȘver. Parfois.
Comment je vois lâavenir ? Je ne sais pas. Je ne me projette pas. JâarrĂȘte dâespĂ©rer. Si seulement un mec riche pouvait me donner 2000⏠de salaire (cotisations sociales comprises) par mois sans demander rien en Ă©change, ça mâenlĂšverait une Ă©pine du pied, je me dis. Mais ce mec nâexiste pas. Alors je profite de lâinstant prĂ©sent. Je me sens en sĂ©curitĂ©.
VoilĂ , je vous laisse sur ces bonnes paroles. Ăcrivez-moi sur Instagram pour rĂ©agir. Moi, je vous dis Ă la semaine prochaine pour un nouvel Ă©pisode de Sologamie.
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Marie Albert
AventuriĂšre, journaliste et autrice
21 mai 2024