Célibat & handicap, avec Elisa Rojas

Photo tous droits réservés © Marie Albert

Ce texte est la retranscription de l’épisode 32 de mon podcast Sologamie, qui est diffusé sur toutes les plateformes d’écoute : https://shows.acast.com/sologamie

Coulisses : cet entretien a été réalisé le 20 mars 2023 chez Sist’Her, un tiers-lieu situé à Paris et créé par Empow’her.

Marie Albert : Bienvenue dans Sologamie, le podcast des célibataires. Je vous présente un nouvel épisode sur le thème du handicap.

Je m’appelle Marie Albert, j’ai 28 ans et j’habite à Cherbourg, en France. Je suis une aventurière, journaliste et autrice féministe. Je me définis comme une femme cisgenre, célibataire, pansexuelle, française, blanche, jeune, mince, valide et athée.  

Aujourd’hui, je reçois Elisa Rojas. Bonjour Elisa.

Elisa Rojas : Bonjour Marie.

M. A. : Je suis très heureuse de t’avoir avec nous. Comment te présentes-tu et te définis-tu, si c’est le cas ?

E. R. : Je me présente comme Elisa Rojas. Comment je me définis ? Peut-être plus rapidement que toi. Tout dépend le degré de détails qu’on me demande. Mais a priori, je dirais que je suis une femme handicapée, que je suis née à Santiago du Chili. Et voilà que je suis avocate de profession au barreau de Paris, et puis militante aussi.

M. A. : Est-ce que tu veux dire la ville où tu habites et ton âge ?

E. R. : J’habite à Paris. Mon âge : 43 ans.

M. A. : Merci Elisa. Nous enregistrons cet épisode chez Sist’Her, un tiers-lieu situé à Paris et créé par Empow’her. Empow’her est un réseau international qui accompagne les femmes entrepreneures. Vous aurez plus d’informations sur leurs différentes initiatives sur leur site internet https://empow-her.com. Merci à Empow’her pour leur accueil gracieux dans leurs locaux.

Dans mon podcast Sologamie, je donne habituellement la parole à des personnes célibataires et minorisées, pour discuter des différentes réalités du célibat dans ce pays. Je sors une émission mensuelle, le premier mardi du mois. Aujourd’hui, nous discuterons ensemble de célibat et de handicap. Comment notre société validiste empêche-t-elle les personnes handicapées de vivre leur couple ou leur célibat dans le plus grand des calmes, comme les personnes valides ? Pourquoi les femmes handicapées sont-elles systématiquement désexualisées et infantilisées ? Comment vivent-elles alors le célibat, la séparation ou les râteaux ? Nous allons nous poser toutes ces questions avec toi Elisa. 

M. A. : Mais d’abord, j’aimerais savoir qu’est ce que ça veut dire pour toi « être célibataire » ?

E. R. : Alors moi, j’en donnerais une définition plutôt simple, j’imagine la plus communément admise. Je n’ai pas très profondément réfléchi à cette question, mais je dirais que c’est ne pas être dans une relation avec quelqu’un. Ne pas être engagée dans une relation affective ou amoureuse, quelle qu’elle soit. Moi, c’est comme ça que je définirais le célibat.

M. A. : Est-ce que tu es célibataire ? Est-ce que tu as souvent été célibataire dans ta vie ?

E. R. : Oui, je suis célibataire et je l’ai souvent été, en effet. Mais je le vis très bien.

M. A. : Justement, c’est ma question suivante. Est-ce que tu relis bonheur et couple ?

E. R. : Alors sur ces questions-là, il y a vraiment un avant et un aujourd’hui. Donc c’est vraiment parce qu’il y a eu une profonde évolution, je pense, sur ces questions, de mon côté. Du coup, avant clairement, pour moi, c’était totalement lié. Je dirais que ça faisait partie du tableau du bonheur en fait, parce que c’est un peu ce qu’on nous vend, même beaucoup. C’est-à-dire que pour être heureux, faut être jeune, faut être beau, il faut avoir de l’argent, il faut être en couple et à un moment donné, il faut avoir des enfants. Donc pour moi, vraiment, c’était quelque chose. Un objectif qui permettait de me dire que l’on était heureux dans la vie et qu’on avait rempli sa mission.

Et puis, pendant longtemps, j’ai, je pense, peut-être idéalisé ou en tout cas, je prenais le modèle de mes parents comme une référence. Et au fond, je voulais recréer ce que mes parents avaient créé, ce qui est quand même une idée étrange, car mes parents ont divorcé et leur couple n’était pas si idéal que ça. Mais en tout cas, il y a eu un moment, surtout dans mon enfance, où, pour moi, c’était vraiment une référence. Je voulais me marier jeune. Je voulais avoir des enfants très jeunes. Voilà, donc je voulais reproduire. Aujourd’hui, c’est plus le cas. Pour moi, clairement, il n’y a aucun rapport entre être en couple et être heureux. Déjà, j’ai eu le temps d’observer beaucoup de couples autour de moi pour en arriver à la conclusion que ce n’est pas du tout un gage de bonheur. Donc voilà, à ce niveau-là, je n’ai plus du tout la même approche en fait, et je trouve qu’on peut être très bien seule.

M. A. : Comment tu évalues ta santé mentale aujourd’hui ?

E. R. : C’est une bonne question, surtout que moi, je ne peux pas y répondre sans revenir au contexte dans lequel on est, c’est-à-dire le Covid. Ça fait trois ans qu’on est en pandémie. Et du coup, pour être honnête, je pense que je ne vais pas très bien et que ma santé mentale est très éprouvée et très fragilisée par la situation. Et il y a quand même une gestion du Covid qui est très irresponsable et ça a mis beaucoup de personnes malades ou handicapées vraiment face à des situations très violentes.

En fait, je pense qu’il y a deux niveaux de responsabilité. Il y a bien évidemment les pouvoirs publics qui n’ont pas joué leur rôle de protection. Mais il y a aussi, individuellement, des gens qui ont envie de croire que la pandémie est finie et qui se sont rués sur la levée des mesures de prévention et de protection. Donc, très honnêtement, je pense qu’une personne malade ou handicapée ou consciente des risques du Covid aujourd’hui, elle ne peut pas aller bien. Je pense qu’on est vraiment en train de vivre et de traverser quelque chose de très très dur.

M. A. : Je voulais juste préciser qu’on enregistre cet épisode en mars 2023. Est-ce que ton célibat pèse sur sa situation financière ? En gros, est-ce que pour toi c’est plus cher de vivre célibataire ? Je ne sais même pas si tu vis célibataire, mais qu’est-ce que tu en penses de cette question ? De l’argent ?

E. R. : De ce que je comprends, il est plus cher d’être célibataire que de ne pas être célibataire puisque, pour une raison simple, quand on partage les dépenses, forcément on s’en sort un peu mieux. Moi c’est pas une question que j’ai beaucoup approfondie, donc je pourrai pas te répondre de façon très très précise.

M. A. : OK. Comment tu vis ta sexualité en célibataire si tu es célibataire ?

E. R. : Je ne me plains pas et je n’en dirai pas plus parce que je trouve que c’est très important de garder des choses privées et que je suis très soucieuse de mon intimité. Et quand on est une personne handicapée, on est soumise constamment à des questions très intrusives, notamment sur ce sujet-là. En fait, c’est vrai que notre vie affective et sexuelle, c’est une passion pour les personnes valides qui se permettent beaucoup, beaucoup de questions qui sont, à mon avis, inappropriées. Et parmi les choses qui étaient très intéressantes à faire dans mon livre, justement, sur cette question, la sexualité, c’était de pouvoir parler du désir, du désir d’une femme handicapée, en l’occurrence, dans le cadre d’une relation hétérosexuelle, parce que les gens parlent peu du désir des femmes en général, du désir des femmes handicapée encore moins par ailleurs. Moi, je ne suis pas asexuelle. Le truc, c’est que quand on est une personne handicapée, on présuppose très rapidement qu’on n’est pas intéressée par le sexe, qu’on est asexuelle. Ce n’est pas mon cas, mais ça pourrait l’être.

Ce que je veux dire, c’est que j’estime qu’en tant que femme handicapée, on doit avoir les mêmes libertés qu’une autre femme. Donc, s’il y a des personnes, des femmes handicapées qui sont asexuelles, il faut aussi le respecter. Et ça, je trouve que c’est important de le rappeler. Il se trouve que ce n’était pas mon cas, donc j’avais envie de parler de désir, de mon désir. Mais j’avais envie de le faire vraiment, selon mes conditions à moi, selon mes propres termes, c’est-à-dire, en fait, en en parlant sans donner de détails inutiles, sans répondre à la curiosité malsaine des personnes valides et même en me moquant de leur curiosité malsaine, en les frustrant, en y consacrant tout un chapitre, en leur disant qu’elles allaient pas trouver ce qu’elles avaient envie de trouver, mais qu’on peut quand même parler de désir, sans entrer dans des détails qui, en plus, correspondent vraiment pas à ma personnalité. Mon livre, il me ressemble, il est moi. Dans la vraie vie, on me pose ce genre de questions, je ne donne pas plus de détails que dans mon livre, même à mes ami·es qui sont proches. Voilà. Donc je trouvais que cet enjeu-là était hyper intéressant dans mon livre et c’est un chapitre qui m’a beaucoup amusée.

M. A. : Est-ce que tu peux parler un peu de ton livre pour les personnes qui ne connaissent pas encore ? Comment ça s’appelle ? De quoi ça parle ? Quand est-ce qu’il est paru ?

E. R. : Alors ça s’appelle Mister T & moi et c’est sorti aux éditions Marabout. Il est sorti, si je me trompe pas, en novembre 2020, en plein Covid. J’ai dit beaucoup, je ne sais pas si c’était adroit de ma part, que c’était une romance politisée. C’est vrai que c’est un texte qui à la fois relève du récit et du roman. Mais en même temps, il y a aussi des aspects analytiques qui me paraissent totalement compatibles avec le récit. Moi, je pense qu’on n’a pas à choisir de catégories et que l’important, c’est que l’ensemble se tienne et que ce soit agréable et facile à lire. En tout cas, moi, c’est ce sont mes critères. Je pense que c’est un livre féministe qui parle de la façon dont je me suis construite en tant que femme. Comment j’ai pris conscience de ce que c’était que d’être une femme handicapée dans une société à la fois patriarcale et aussi validiste.

M. A. : Et pourquoi ça s’appelle Mister T & moi ? C’est qui ce Mister T ?

E. R. : Parce que ça raconte une espèce d’obsession amoureuse que j’ai eue quand j’étais jeune, quand j’avais 25 ans à peu près et qui a duré quand même un certain temps. Je suis tombée amoureuse d’un camarade d’université. Et je raconte toutes les réflexions qui ont été provoquées par cet amour pour ce garçon de mon âge qui était, comme moi, en droit et que j’ai rencontré un jour par hasard.

M. A. : On reparlera de ton livre dans la seconde partie de l’épisode. Ma dernière question classique : est-ce que tu es sensible au regard d’autrui vis à vis de ton célibat ?

E. R. : Là, c’est pareil. C’est comme pour la question d’avant, il y avait un avant et un aujourd’hui. Parce qu’avant oui, en fait quand même, l’avis des gens sur mon célibat était super pesant, il était très culpabilisant. En fait, ce qui est très bizarre avec une femme handicapée, c’est que : soit on considère que c’est normal que vous soyez seule puisque de toute façon vous n’avez pas de valeur, donc c’est normal que vous n’intéressiez personne. Soit, et ça c’est très bizarre, quand les gens commencent à envisager que vous pouvez être avec quelqu’un, vous retombez dans l’injonction générale qui s’applique à toutes les femmes. C’est devenu une obsession pour les gens de me demander si j’avais quelqu’un. Et quand je répondais que ce n’était pas le cas, je voyais la déception dans leurs yeux. Un truc genre : « Mais comment c’est possible ? » Ce n’est pas compréhensible.

Du coup, c’était super dur, d’autant plus que c’était une période où moi j’avais envie d’être avec quelqu’un puisque j’étais amoureuse de ce fameux camarade. C’était dur de me dire, purée, les gens comprennent pas, ça veut dire que c’est moi qui ne sais pas m’y prendre, qui ne maîtrise pas quelque chose, que c’est de ma faute si je suis célibataire. Il y a quelque chose qui m’échappe et même les gens ne comprennent pas. Mais aujourd’hui, je vois la part de conditionnement et d’injonctions sociales qu’il y a autour de ces questions-là et très, très franchement, aujourd’hui, l’avis des gens est de moins en moins important, même pas du tout important. Je me fiche de la façon dont ils le prennent parce que je sais que ça relève plus du choix aujourd’hui d’être célibataire que de quelque chose que je subis en fait.

M. A. : Et les gens continuent à te poser la question ?

E. R. : Alors un peu au moins, mais peut-être que comme je vieillis, ça repart dans l’autre sens, je sais pas. C’est vrai qu’avec le Covid et tout, c’est difficile de comparer à avant parce que j’ai une socialisation qui a quand même beaucoup changé. Si je sortais beaucoup, peut-être que les questions reviendraient.

Mais quand même, alors je sais bien que mon livre est quand même sur le sujet, donc ça peut paraître compréhensible, mais une fois par hasard, je cherchais un truc, je me suis googlée. Et en fait, j’ai vu que les questions que les gens posaient, c’était : « Est-ce que j’ai un copain ? », « Est ce que j’ai un mari ? » C’était les principales questions qui sortaient comme références sur Google. Ce n’est pas totalement fini comme fixette pour les gens.

M. A. : Wow, donc tu tapes sur google ton nom et après tu mets espace et là tu vois si…

E. R. : Tu vois les trucs.

M. A. : J’ai jamais fait ça.

E. R. : Tu vois les questions les plus posées.

M. A. : Alors passons au thème « célibat et handicap ». Donc tu as publié en 2020 ce roman qui s’appelle Mister T & moi dans la collection La Belle étoile des éditions Marabout, dans lequel tu racontes une histoire d’amour à sens unique entre une femme handicapée et un homme valide, Mister T. Moi, je vous recommande chaudement ce livre car je l’ai adoré. Je l’ai lu je pense en 2021 et comme j’ai une mémoire à chier, je pourrai pas citer des passages entiers. Mais j’ai vraiment adoré. Comme tu dis, il est très politique. Et puis ce que tout le monde dit et je suis d’accord, il est très drôle. Moi je me rappelle, j’étais dans une salle d’attente à l’hôpital pour un rendez vous médical et j’ai éclaté de rire alors que c’est pas une histoire hyper drôle.

E. R. : Mais quand même, c’est fait pour être drôle, donc c’est normal. Ça me fait hyper plaisir que les gens me disent ça. C’est un objectif très important pour moi d’arriver à équilibrer un texte. Et il faut que quelque chose soit drôle. C’est essentiel, je trouve que c’est une très bonne façon de communiquer, de faire passer des messages quand on peut. Je ne dis pas qu’il faut l’être constamment et tout, sinon c’est fatigant. Mais il y a des fois où il y a de l’espace. L’humour peut être très efficace. Et en plus, je pense que c’est une chance d’être drôle. J’ai cette chance d’être capable d’écrire des choses qui font rire les gens. C’est tellement satisfaisant. Je suis très contente de ça. C’était totalement fait exprès. Le livre à ce niveau-là a rempli son objectif.

M. A. : Oui, mais en plus, moi j’ai l’habitude de lire plein de livres féministes et c’est tout le temps badant. C’est tout le temps triste. Et moi, quand j’écris, c’est pas ma première qualité d’être drôle. Et toi comme tu dis, c’est dans ta personnalité. Du coup, ça faisait vraiment bizarre de lire un livre féministe et de rire. Et en plus c’est de l’humour féministe, c’est pas du vieil humour dégueulasse, donc franchement, c’est original. Tu rencontres pas ça tous les jours et même en ouvrant le livre, je m’y attendais pas du tout. Moi je voulais savoir comment tu as fait pour éditer ce livre. Moi, je suis autrice, donc ça m’intéresse toujours. Est-ce que c’est des gens qui sont venus te chercher ? La maison d’édition ? C’est toi qui l’avait écrit avant ? Comment ça s’est passé cette collaboration ?

E. R. : Purée, t’as combien d’heures devant toi ? C’est dur de résumer. À la fois, j’ai conscience que j’ai eu de la chance. J’ai fini quand même par trouver les bonnes personnes. Et en même temps, je sais aussi que comparé à d’autres, j’ai quand même un peu galéré. Ça n’a pas été si simple. Moi, j’avais écrit mon livre de mon côté, j’avais un produit fini. Je l’ai proposé à plusieurs maisons d’édition. Ça a duré un certain temps parce que j’ai eu beaucoup de refus. On m’a beaucoup dit que ça n’entrait pas dans les cases parce que c’était pas totalement un roman et pas totalement un essai. Et Bohemian Rhapsody, c’est quoi ? C’est de l’opéra, c’est de la pop, c’est du rock ? Qu’est-ce qu’on s’en fout ? En fait, l’important, c’est : est-ce que c’est agréable à lire ? Est-ce que c’est intéressant ? Le reste, ça n’a pas de sens à mes yeux. Donc on m’a fait beaucoup de réflexions et je savais que ce n’était pas un récit attendu de la part de personnes valides, éditeurs, qui sont quand même majoritairement valides, qui ont l’habitude sur le handicap de lire certaines choses. Certains ont une façon de présenter un discours, un angle que moi je ne voulais absolument pas.

Je voulais montrer qu’on pouvait raconter et écrire les choses différemment, en étant à mon sens beaucoup plus proche de la réalité des personnes concernées. Mais je sentais bien que ça ne passait pas parce que ça ne répondait pas à ce qu’ils avaient l’habitude de lire. Et malgré tout, partout, au niveau de toutes les productions, que ce soit écrit ou que ce soit audiovisuel, les gens veulent en fait refaire ce qui, selon eux, fonctionne et ne pas tenter autre chose. Donc ça n’a pas été aussi simple qu’on peut l’imaginer. Mais en même temps, bien entendu, ça s’est bien terminé. Donc voilà, j’ai quand même réussi à trouver la bonne éditrice. Je suis très contente de ça. Par contre, c’est vrai que moi, j’avais une condition. Quand je tiens quelque chose de bien, je le fais, mon instinct me dit : « C’est ça ». Du coup que ce n’était pas négociable. C’était à prendre ou à laisser. Et j’ai eu la chance de tomber sur quelqu’un qui m’a dit : « Je prends ». Voilà, ça s’est passé comme ça.

M. A. : Oui, quand tu dis qu’on te reprochait que ça rentre pas dans une case, que c’était pas vraiment un roman, pas vraiment un essai, ça me fait trop penser à mon livre La Puissance, parce qu’à chaque fois, je me prenais un peu les mêmes remarques puisque c’est aussi une autofiction, un roman qui parle de ma vie. Et moi, j’ai pas trouvé de maison d’édition au final. Mais la plupart des livres, c’est aussi de l’autofiction maintenant et ça se fait de plus en plus. Donc en quoi ce serait pertinent ?

E. R. : C’est peut-être en effet un prétexte. Tu as totalement raison, j’avoue. Alors après eux, ils essaient de justifier ça en me disant que c’est pour des raisons commerciales qu’après, au niveau de la vente, de la façon dont ça se distribue dans les librairies, si on ne peut pas mettre dans un rayon, ça pose un problème. Bon, honnêtement, voilà, on peut en penser ce qu’on veut de cet argument. Mais t’as pas tort. C’est peut-être tout simplement un prétexte pour refuser des manuscrits, c’est vrai.

M. A. : Alors dans une interview que tu as donnée au magazine Télérama après la sortie de Mister T & moi, tu as dit que la relation entre une femme handicapée et un homme valide est la plus transgressive qui puisse exister. Pourquoi ?

E. R. : En fait, je pense que ça transgresse deux systèmes d’oppression, à la fois le patriarcat et en même temps le système d’oppression qui s’abat sur les personnes handicapées, donc validiste. C’est les deux, en fait, qui sont remis en cause par un choix comme celui-là. Parce qu’un homme est supposé choisir une partenaire qui répond à certains canons. Qui va lui être utile. C’est terrible, mais c’est vrai. En fait, les femmes sont supposées être utiles et les femmes handicapées sont réputées, premièrement, ne pas répondre aux canons de beauté, donc ne pas être désirables. Et deuxièmement, ne pas pouvoir remplir la fonction qui est les tâches ménagères, tout ce qui concerne l’éducation des enfants. On peut aussi remettre en cause le fait qu’elle va pouvoir soutenir émotionnellement son partenaire.

En gros, on n’est pas supposée cocher ces cases. Et si un homme valide choisit comme partenaire une femme handicapée, il fait un choix qui paraît socialement totalement déraisonnable, en fait, qui paraît incompréhensible parce qu’on va dire que c’est quelqu’un qui va choisir la difficulté. Et en plus, ce n’est pas totalement faux puisque socialement, il va être incompris et que c’est sûr qu’il va y avoir bel et bien des gens de son entourage qui vont ne pas être d’accord avec cette relation, la critiquer. Il va perdre éventuellement des ami·es, des proches, même de la famille. Il va s’exposer, disons, à l’incompréhension. Pourquoi aller vers l’incompréhension de tout votre entourage quand vous pouvez simplement choisir une partenaire qui pose de problème à personne ? C’est ça, en fait. Pourquoi faire un choix qui te met dans la difficulté ?

M. A. : Dans les interviews que tu as données, tu dis aussi que les personnes handicapées, notamment les femmes handicapées, sont désexualisées. Est ce que c’est parce qu’on les infantilise ? On les considère comme des enfants ?

E. R. : Oui, je pense que ça vient beaucoup de l’infantilisation. C’est tout ce qui relève du questionnement adulte : la sexualité, la parentalité. Ce n’est pas supposé nous concerner parce qu’on n’est pas supposé·e avoir la maîtrise de nos existences. Nos existences sont régies par d’autres personnes valides, dans des cadres qui sont prévus pour, etc. Donc je pense que déjà, c’est beaucoup lié à l’infantilisation. C’est lié aussi au fait qu’on rattache la sexualité et son caractère épanouissant au physique. Donc quand vous ne répondez pas aux canons dominants, vous n’êtes pas supposé·e pouvoir avoir une sexualité satisfaisante, ni pour vous même, ni pour votre partenaire en fait. Donc, il y a de ça. Et puis après, ça dépend aussi du type de handicap que vous avez, mais il y aussi l’idée que vous êtes désespéré·e et que vous êtes peut-être parfois obsédé·e par ces questions-là, parce que frustré·e. Voilà. Donc ce sont des choses qui reviennent régulièrement dans la façon dont ces questions-là sont appréhendées par les personnes valides et les personnes qui vous entourent.

M. A. : Et tu disais que jusqu’à 25 ans, les gens supposaient que tu n’avais pas de relations et qu’après 25 ans, tes proches te demandaient si tu avais quelqu’un ?

E. R. : Pourquoi ça a changé ? Pourquoi à ce moment-là, ils ont arrêté de m’infantiliser ? Moi, j’ai l’impression que ce qui a changé, c’est aussi la façon dont moi-même j’envisageais les choses et le fait qu’à ce moment-là, j’ai commencé à m’intéresser justement à la construction d’une relation avec quelqu’un et que c’est aussi le moment où je pense que – je vais dire un truc hyper cliché et stupide parce que ça ne veut rien dire – je suis devenue une femme, où je suis passée à l’âge adulte, on va dire peut-être un peu tard. Je pense que c’est quelque chose qui faisait dire aux gens : « Elle pourrait être un couple ».

Ça a été une période très douloureuse, très dure, mais c’est aussi une période où j’ai vraiment pris confiance en moi, au sens où j’ai commencé à enraciner cette confiance dans quelque chose de vraiment solide. Et en ayant confiance en moi, en dégageant quelque chose de différent et de plus ouvert finalement à une relation, les gens ont perçu que c’était une possibilité et à partir de là, si c’est une possibilité, ça devient une obligation. En fait, c’est très très bizarre, mais pour moi, il y a vraiment vraiment de ça. Ça, j’en suis certaine. Le fait que moi-même, je l’envisage, le fait que moi-même peut-être, je commence aussi à en parler avec mes ami·es. C’est ça qui a modifié leur réflexion.

M. A. : Et du coup, toi tu es hétéro ?

Oui [silence]. Je me suis construite comme hétérosexuelle, ça c’est sûr et certain. De façon extrêmement classique. Parce que s’il y a bien un domaine où mon éducation n’était pas du tout ouverte, c’était sur ces questions-là, malheureusement. on dira jamais assez merci à toute la communauté et aux militants LGBTQIA+ pour tout leur travail d’analyse et de remise en cause. Je me rends compte grâce à eux que le genre n’est peut-être pas un critère de choix très pertinent, ça c’est sûr. Après, ce n’est pas parce qu’intellectuellement vous arrivez à cette conclusion que ça change tout de suite et immédiatement toutes vos pratiques, etc. Mais en tout cas, je pense que je ne vois plus les choses comme je les voyais il y a quelques années. Et je trouve ça un peu triste, mais en même temps, c’est comme ça, c’est la vie d’avoir gobé ce mensonge de la nature. La nature est hétérosexuelle. C’est l’essentialisme. J’ai quand même mis du temps à comprendre à quel point ça reposait sur rien et à quel point, en fait, il n’y avait absolument rien de naturel à être attirée plus par un homme que par une femme.

Ça arrive un peu tardivement, mais mieux vaut tard que jamais, j’ai envie de dire. Voilà, c’est comme ça. Et je pense que ce qui est naturel en vrai, c’est juste de se sentir attiré·e par quelqu’un, par une personne, par un être humain et que le reste, c’est pas important. Je pense qu’il y a des gens qui sont capables de comprendre ça et de sortir de leur construction, surtout sur ce point-là. Et peut-être aussi qu’il y a des gens qui n’y arriveront pas ou qui ne veulent pas. Moi, je trouve en tout cas toutes ces réflexions sur l’hétérosexualité très intéressantes. Mais il ne faut pas sortir que de l’hétérosexualité, j’ai envie de dire qu’il faut sortir du validisme parce que le mal est partout et qu’il traverse toutes les communautés. Donc il ne suffit pas, par exemple, de remettre en cause ce système-là, l’hétérosexualité, qui est un système structurant très important, mais il y a tout un tas d’autres choses qui peuvent amener de l’inégalité dans les relations et qu’il faut aussi questionner.

M. A. : Oui, quand tu disais que ce qui est naturel, ce n’est pas le genre, c’est d’être attiré·e par quelqu’un, il y a aussi des personnes qui ne sont pas attirées, qui sont asexuelles.

E. R. : Là, c’est vrai, je suis totalement d’accord avec toi. Il y a aussi des gens qui m’expliquent que ça ne les intéresse pas et que je pense qu’en fait on est tous tellement différents et uniques que ça me paraît totalement audible et que je peux les comprendre. Après, c’est vrai que moi, ce n’est pas mon cas, je suis attirée par les gens mais je comprends que pour eux ce n’est pas le cas. Ils ont d’autres façons de faire, de fonctionner. Moi je sais que par exemple, la nourriture, j’aime bien manger, mais quand je compare avec ma sœur, je vois bien que ça n’a pas la même importance pour moi que ça en a pour elle. Si c’est vrai, j’essaie de m’intéresser plus qu’avant à la nourriture. Mais ça a longtemps été un truc dans ma vie utilitaire uniquement. Et les gens qui sont passionnés, qui se souviennent de ce qu’ils ont mangé, à quel endroit et à quelle heure, ça me tue, Moi, une heure après avoir mangé, tu me demandes : « Qu’est-ce que tu as mangé ? ». Des fois, je sais plus bien parce que ce n’est pas un truc important pour moi. Enfin, pas aussi important du coup. Dans d’autres domaines, je peux totalement comprendre le sujet.

M. A : Je vous renvoie à l’épisode de Sologamie avec Aline Laurent-Mayard qui est asexuelle et romantique. Et justement, on avait parlé de ça, de l’asexualité.

Est-ce que tu penses que notre société validiste exclut davantage les personnes handicapées de l’amour hétéro, plus que dans les milieux queer, les milieux lesbiens ou au contraire, comme tu viens de le dire, qu’il y a du validisme partout ? Et en fait, même quand on est lesbienne, qu’on se dit féministe, on n’est pas à l’abri d’exclure les personnes handicapées de nos applis de rencontres, de nos endroits de drague, etc.

E. R. : Moi, je pense que le validisme, il est vraiment partout. Je pense que quand on regarde bien les critères de beauté dans toutes les communautés, très souvent on revient au même schéma, à la perfection physique, à la symétrie, à la minceur. Voilà. Mais après je pense que dans la communauté LGBTQ, franchement, il y a des gens qui sont plus à même que moi de répondre précisément à cette question. Tout simplement parce qu’ils ont expérimenté depuis beaucoup plus longtemps que moi ce qui se passe à cet égard. Donc moi, je ne suis peut-être pas la bonne personne, mais ce que j’en ai vu, parce que voilà, j’ai quand même expérimenté certaines choses, me fait dire qu’il ne suffit pas de changer d’orientation sexuelle pour résoudre le problème, à mon sens.

Après, ça fait sauter quelque chose, ça c’est sûr. Les rapports ne sont pas les mêmes entre personnes du même genre, mais je ne serai pas aussi optimiste que ceux qui pensent qu’il suffit de faire sauter ce verrou-là. Je pense que c’est plus complexe que ça. Il y a tellement d’autres facteurs : l’âge, le statut, l’origine sociale, la couleur de peau. Il y a plein, plein de choses qui créent de la dissymétrie, qui créent des situations de déséquilibre au sein d’une relation. C’est même plus complexe que ça.

M. A. : Oui et je me demandais si les productions culturelles, parce que tu en parles aussi des fois dans les interviews, ça pouvait changer un peu, faire bouger un peu notre société actuelle. Est-ce que tu penses qu’il faudrait plus de représentations de femmes handicapées célibataires ? Si on parle de célibat, faut-il plus de personnes handicapées célibataires ou de personnes qui ont des relations ?

E. R. : Idéalement, il faudrait un maximum de représentations diversifiées, donc il faudrait tout. Il ne faudrait pas que des personnes handicapées célibataires, faudrait des personnes handicapées en couple, je veux dire. Est-ce qu’on peut citer une série où il y a un couple dont l’une des deux personnes est handicapée et la femme ? Parce que c’est souvent les femmes qui ne sont pas représentées en couple. Est-ce qu’il y en a ? Est-ce qu’il y a beaucoup de séries ? Je sais qu’il y en a au moins une. Est-ce qu’il y a beaucoup de séries où le personnage handicapé n’est pas hétéro ? Il doit y en avoir. Je sais qu’il y en a au moins une, mais il n’y en a pas beaucoup. En fait, il y a trop de choses qui sont systématiques et qui reviennent pour donner une image très aseptisée des choses. Il faudrait idéalement que ce soit le plus varié possible pour que les gens comprennent en fait qu’il y a toutes les possibilités, y compris pour les personnes handicapées, et que ça permet aussi aux personnes concernées de pouvoir se projeter.

M. A. : Mais là, en plus, on parle des séries. Mais si on élargit au cinéma, à la musique, aux romans, à la littérature, aux expositions, à l’art en général, c’est pareil. Les séries, peut-être qu’elles sont même en avance par rapport à d’autres secteurs.

E. R. : Certainement, sous l’influence des séries notamment anglo-saxonnes. Clairement, il y a quand même des choses beaucoup plus intéressantes dans les séries, ça c’est sûr et certain. Et c’est vrai que dans d’autres secteurs, il y a moins de choses. Et puis en France, on a vraiment un souci. Je pense que les personnes minorisées malgré tout, elles, sont vraiment confrontées à un plafond de verre, quel que soit ce qu’elles souhaitent produire. Et l’important, c’est qu’on puisse produire nous-mêmes. Voilà ce dont on a besoin. Et le problème, c’est que bien souvent, on n’est pas les plus privilégié·es sur le plan financier, donc on n’a pas les moyens de production. Et à partir du moment où il y a un prisme, je dirais un biais, où c’est repris par une personne valide, où on doit passer par une personne valide pour faire exister ce qu’on fait, il y a un risque que le résultat ne soit pas intéressant.

M. A. : Oui et du coup, je voulais te demander à propos de ton livre : il a été reçu comment ? Est-ce que les personnes handicapées t’ont dit « Je l’ai lu et je n’avais pas lu ça depuis longtemps » ? Ou est-ce que tu as eu plus de retours de personnes valides ? Est-ce que tu as eu l’impression que ton livre a eu un accueil satisfaisant pour toi ?

E. R. : Compte tenu du Covid et des contraintes, je pense que oui. J’ai eu un accueil quand même assez satisfaisant vu le contexte dans lequel on était pour faire la promotion. J’ai eu beaucoup de retours de femmes handicapées et c’était quand même l’objectif premier. Même une seule femme handicapée qui me dit que le livre lui a fait du bien, pour moi, ça me suffit en fait, et j’en ai eu plus d’une. Et donc ça veut dire que ça valait le coup de s’accrocher et d’essayer de faire exister ce projet.

M. A. : Et tu en as encore aujourd’hui ou tu as l’impression que les gens parlent moins du livre ?

E. R. : De temps en temps, il y a des gens qui m’écrivent, c’est normal. C’est un livre. Donc a priori, s’il est encore dispo, il y a possibilité que des gens le lisent et puis qu’ils m’en parlent. Donc non, honnêtement, vraiment, moi je ne peux pas me plaindre en fait.

M. A. : Est-ce que par curiosité, tu peux écrire d’autres livres dans ta vie ou c’était ta seule idée ?

E. R. : Non, ce n’était pas ma seule idée. Le seul problème, c’est que là, vraiment, c’est très difficile de se projeter. En fait, avec le Covid, quand on est une personne malade ou handicapée et qu’on n’a pas envie d’être infectée et surinfectée, c’est très très dur en ce moment. Du coup, ce n’est pas que je n’ai pas d’envie ou que je n’ai pas d’idées, mais c’est juste qu’il faut que je sois dans le bon état d’esprit. Et actuellement, je suis trop préoccupée par ma santé, par le fait de pouvoir juste me préserver, pour pouvoir me consacrer à un nouveau projet. Donc c’est dommage parce que j’aimerais bien avoir le temps de faire autre chose et on verra. Enfin, j’ai aussi envie de ne pas me culpabiliser par rapport à ça parce que je sais qu’autour de moi, on est dans un milieu militant où certaines personnes produisent beaucoup et où il faut enchaîner les projets et battre le fer pendant qu’il est chaud, pendant que vous êtes visible. Et moi ça, déjà dans l’absolu, ça me soûle.

Par ailleurs, vu ce qu’on est en train de vivre en tant que personnes handicapées, j’ai envie aussi de me pardonner le fait de ne pas pouvoir enchaîner sur un nouveau projet comme peut-être je l’aurais fait s’il n’y avait pas eu cette situation, et de me dire… d’être indulgente envers moi-même. De me dire que ce n’est pas dans ma tête, ce n’est pas moi qui ai inventé cette pandémie et cette gestion catastrophique. Donc il faut aussi que j’en tienne compte, que je tienne compte de ce que ça a comme répercussions psychologiquement et que je fasse les choses au moment où j’aurai vraiment l’énergie et les conditions pour pouvoir le faire. Et si ça ne doit jamais se passer, tant pis, ça ne se passera pas.

M. A. : Oui, puis un métier, tu es avocate aussi. Je pense que c’est du travail.

E. R. : Oui, mais tout a été impacté en fait. Donc c’est vraiment compliqué.

M. A. : Oui, et puis ça me fait penser, les personnes qui enchaînent les projets, c’est aussi ce qu’on a l’impression de voir sur les réseaux sociaux, que telle personne a vachement de succès. Et on va peut-être se comparer, mais en fait c’est capitaliste tout ça, ce truc qu’il faut toujours produire, produire, produire, alors qu’on est censé·e être anticapitaliste. C’est totalement contradictoire et on veut avoir le plus de vues sur les réseaux sociaux et le plus d’abonné·es. Alors, quand on dit qu’on est anticapitaliste, c’est une lutte permanente à l’intérieur de moi de me dire « Je ne suis pas assez connue », « Mon livre n’est pas édité », alors qu’en fait je n’ai pas forcément envie de bosser comme je ne sais pas quoi et de faire des burn-out à répétition comme la plupart des militant·es qui se plaignent d’être épuisé·es.

E. R. : Mais en fait, moi je me dis, il y a une question que j’essaie de me poser quand justement je me sens perdue vis à vis de ce genre de choses. Je pense qu’il y a un truc qui peut un peu aider. En tout cas, moi, ça, ça m’aide. Il faut vraiment se demander à chaque fois pour qui tu fais les choses exactement, pour quoi et pour qui. Est-ce que c’est pour toi ou est-ce que c’est pour les autres ou est-ce que c’est pour répondre à une attente qui vient de l’extérieur, à une injonction qui vient de l’extérieur ? C’est pareil pour le célibat. Pour qui tu le fais en fait ? Et à partir du moment où tu te poses cette question-là, seul·e avec toi-même et que tu essaies d’y répondre, c’est-à-dire honnêtement et profondément, il y a un moment donné où tu vas savoir, tu vas sentir. Oui, je le fais pour moi parce que c’est dans mes tripes et que c’est plus fort que moi et que je m’en fiche de l’avis des autres. Dans ce cas-là, il faut y aller. Mais si la réponse c’est non, en fait, c’est parce que j’ai vu que Bidule avait sorti je ne sais pas quoi. Donc ça veut dire que ce n’est pas pour toi que tu es en train de le faire. C’est pour les autres et à partir de là, eh ben non. En fait, dans ce cas-là, ce n’est peut-être pas la bonne raison. Et si tu n’y arrives pas, il y a justement une explication technique. Ce n’est pas un désir profond, ce n’est pas le moment. Donc moi, je trouve que c’est une question qui aide.

Moi, elle m’a aidée à me débarrasser du soutien-gorge. Franchement, le jour où je me suis dit « Mais en vrai, faisons une liste, genre, pourquoi, en fait, pour moi ou pour les autres ? » Et à partir du moment où ta liste, elle est beaucoup plus importante dans les raisons qui sont extérieures à toi-même. Ce n’est pas facile de distinguer parce qu’il y a des injonctions qui sont tellement fortes que tu as vraiment l’impression qu’elles viennent de toi, qu’elles viennent de ta volonté. Mais en fait, si tu te poses cinq minutes vraiment et que tu te concentres, tu peux arriver un petit peu à distinguer ce qui est vraiment ton envie et celles des autres. Et ça, je trouve que dans tous les domaines, ça aide. C’est comme pour le célibat. Moi, la question que je me suis posée, c’est : « Pourquoi est-ce que j’ai envie d’être en couple ? » Est-ce que c’est parce que vraiment j’ai envie ? C’est un besoin que je ressens ? Parce que moi, je ne sens pas de manque quand je suis toute seule. Il y a peut-être des gens qui ressentent un manque. Moi, ce n’est pas mon cas. En plus, je ne suis pas très dépendante sur le plan affectif et tout ça ne répond pas à un besoin. Donc est-ce que je cherche à être un couple pour avoir une normalisation, une reconnaissance sociale ?

Être en couple, c’est être reconnu·e socialement, donc, et quand on est une personne handicapée, il peut y avoir aussi, comme pour d’autres, cette idée qu’être en couple, ça va te normaliser. Donc si c’est ça la raison, ce n’est peut-être pas une super raison. Et donc peut-être que tu t’infliges des violences, pour arriver à cet objectif, qui n’en valent pas la peine. Moi je trouve franchement que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Moi je suis bien toute seule, je ne ressens pas de manque. Je ne suis pas fermée à la possibilité d’être avec quelqu’un si demain je rencontre quelqu’un qui en vaut la peine, j’espère que je n’irai pas lui cracher dessus parce que ce n’est pas l’idée. Mais je ne vais pas m’inscrire dans une recherche obsessionnelle d’une personne, quelle qu’elle soit, pour pouvoir dire : « Je suis en couple, j’ai vécu cette expérience ». Non, je n’ai pas envie, surtout quand je vois que pour y arriver, je trouve quand même qu’on s’inflige des choses qui me paraissent en fait insensées. Enfin, moi, par exemple, ce qui se passe sur les applications, je sais que ça me dépasse. Donc il y a autant de gens qui s’imposent ça. Moi, je trouve que c’est extrêmement violent. Intrinsèquement, c’est très violent.

C’est comme une sorte de supermarché. Pourquoi on trie ? Donc cette idée que les relations relèvent du consumérisme, de l’utilitarisme, qu’on est dans un marché et que dans ce marché, on n’a pas tous la même valeur. En plus, je connais ma valeur sur ce marché, mais je m’en fous. Parce que quel est l’intérêt de savoir que pour telle personne que je ne connais même pas, qui ne m’a jamais vue, je ne vaux rien sur le marché des relations sentimentales ou sexuelles ou je ne sais pas quoi. Ça n’a aucun sens. Pourquoi tu laisses quelqu’un d’autre définir ta valeur ? Je trouve que c’est une difficulté d’accepter ça alors qu’on pourrait tous refuser de rentrer dans ce jeu-là. Et voilà, il est bien évident que le résultat, c’est qu’on est sur de la reproduction des micro agressions, des violences, des oppressions pour certaines personnes vraiment à un niveau très très très très important. Quand vous êtes une femme handicapée, sur les applications, je pense que c’est vraiment très difficile et d’ailleurs il y a beaucoup de femmes qui ont témoigné de ce qu’elles ont vécu. C’est un niveau de déshumanisation et une violence qui me paraît déjà insensé et en plus totalement inutile.

C’est horrible parce que quand vous avez envie d’être en couple et que vous ne pouvez pas socialiser comme tout le monde parce que ce n’est pas accessible, parce que la rencontre est difficile et que vous vous dites « Tiens, ça c’est pratique », c’est un moyen qui pourrait permettre d’aller plus vite vers la rencontre, qui peut paraître idéal, vous vous retrouvez piégé·e par un système qui vient vous démolir. Moi, personnellement, je trouve que ça ne vaut tellement pas le coup. Ça ne me viendrait pas à l’idée en fait, parce que je me connais et que je ne vois pas pourquoi je m’imposerais ça. Je sais ce que ça pourrait éventuellement me faire et je trouve que c’est trop cher payé pour juste être avec quelqu’un et pouvoir dire : « Je suis avec quelqu’un ». Donc en fait, moi, je pars plus du principe que le hasard fera ce qu’il doit faire.

Ça peut paraître bizarre parce que je ne suis pas forcément fan du hasard dans tous les domaines. Je suis une personne assez volontaire quand j’ai envie de faire exister quelque chose. J’essaie de faire ce qu’il faut. Mais là, vu comment les choses sont organisées, je préfère me dire : « Si je rencontre quelqu’un, tant mieux, ce sera la cerise sur le gâteau ». Mais le gâteau, il est composé d’autres choses. En fait, il est composé de ce que j’aime faire : mes activités, ma famille, mes proches. Ce sera un plus, mais ce ne sera pas le gâteau. Ce n’est pas ce dont j’ai besoin pour me sentir exister, pour avoir une valeur et pour être bien.

M. A. : Merci. On arrive à la fin de l’épisode avec mes deux dernières questions traditionnelles : comment est ce qu’on se connaît ? Moi, je vais commencer. Je te connais bien par ton militantisme, par ton livre, par tes interventions diverses et variées sur les réseaux sociaux. Est-ce que tu me connaissais avant que je te contacte ou pas ?

E. R. Je te connaissais par les réseaux sociaux.

M. A. : Est-ce que tu veux dire une dernière chose sur ce sujet ou sur un autre sujet pour les auditeur·ices ?

E. R. : Ouais. J’ai un conseil. Franchement, portez vos masques à l’intérieur. Honnêtement, vraiment, protégez-vous du Covid, portez vos masques, inquiétez-vous de la qualité de l’air. Vaccinez-vous, faites des tests. Franchement, écoutez les personnes malades et handicapées sur cette question. Ce n’est pas que ça nous fait plaisir de parler du Covid toutes les cinq minutes et de vous demander de faire attention. C’est parce qu’on sait quelles sont les conséquences désastreuses que ça peut avoir. Et comme on veut autant se protéger que vous protéger, vraiment. Donc n’attendez pas qu’il soit trop tard, que ce soit l’infection de trop. C’est trop bête, on a des moyens de se protéger. On n’aurait rien, OK, mais on a les moyens, on sait comment ça se transmet et on sait comment éviter la circulation du virus. Donc ne soyez pas bête et vraiment faites ce qu’il faut pour éviter de faire circuler le Covid.

M. A. OK merci Elisa, on va arrêter de discuter pour aujourd’hui. Chèr·es auditeur·ices, qu’avez vous pensé de cet épisode ? Est-ce que vous êtes célibataire ? Est-ce que vous êtes handicapé·e ? Est-ce que vous pensez que la société validiste peut changer après ce qu’on s’est dit aujourd’hui? Est-ce qu’il faut plus de productions culturelles, comme le livre d’Elisa Rojas pour faire évoluer nos représentations du célibat et du couple ? Vous pouvez nous écrire pour nous répondre. Merci à tous et au mois prochain pour un nouvel épisode. Au revoir Elisa !

E. R. : Au revoir Marie.

Marie Albert

3 octobre 2023

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Marie Albert

Aventurière, journaliste et autrice féministe

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