Quand les violences sexuelles pourrissent les milieux antiautoritaires [enquête]

Illustration tous droits réservés © Marianne Tricot pour Reporterre

“Zones à défendre”, collectif antiraciste, squat militant : aucune communauté antiautoritaire n’échappe aux violences sexuelles. Les victimes révèlent les faits et demandent réparation mais leurs agresseur·ses sont souvent protégé·es par la majorité.

Coulisses : J’ai mené et écrit cette enquête dans le cadre d’une commande pour les médias Reporterre (article publié) et La Déferlante (article annulé) entre 2022 et 2023. Merci à toutes les personnes qui ont répondu à mes questions, témoigné de leur histoire et apporté leur expertise. M. A.

Avertissement : cet article évoque des violences sexuelles

Noan* passait l’une de ses premières soirées dans la “Zone à défendre” (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, quand trois hommes différents l’ont embrassé de force, en 2014. L’un d’eux l’a même suivi et harcelé pour qu’il le laisse dormir avec lui. Noan est une personne trans non-binaire [1]. Il a vécu plusieurs années dans la ZAD, alors en lutte contre le projet d’aéroport du Grand Ouest. Aujourd’hui, il se souvient d’autres violences : “Il y a eu au moins une soirée où j’ai fait du sexe très alcoolisé avec une personne et j’étais clairement pas en capacité de donner un consentement éclairé.”

Une autre victime, Lola, souligne l’influence de l’alcool et d’autres drogues dans les milieux antiautoritaires. Elle avait 19 ans quand un homme présent dans la ZAD du Carnet l’a agressée sexuellement dans son sommeil, en novembre 2020. Lola y avait rejoint les dizaines de zadistes alors en lutte contre un projet de zone industrielle sur la rive gauche de l’estuaire de la Loire. Au moment de l’agression, elle passait la nuit dans la caravane de Coyotte pour éviter la présence d’un autre homme alcoolisé. Elle s’est endormie dans son lit mais a été réveillée à plusieurs reprises par Coyotte qui lui caressait l’entrejambe, un sein puis le bas-ventre.

“Il est possible que ça arrive de nouveau”

Plusieurs jours après l’agression, Lola a confronté Coyotte à ses actes. Il lui a présenté ses excuses, mais a affirmé qu’il dormait au moment des faits et s’est mis en colère quand elle a prononcé les mots “agression sexuelle”. “On n’a pas le temps pour ça, par rapport à la lutte écolo”, lui a-t-il lancé. Lola a dénoncé Coyotte aux autres zadistes mais au lieu du soutien, elle a reçu des menaces de certains hommes : “C’est ta condition de femme. Il est possible que ça arrive de nouveau”, lui a même dit un ami de Coyotte. Certaines femmes l’ont soutenue et ont organisé deux réunions en non-mixité pour échanger avec elle mais Lola estime que la majorité silencieuse a protégé l’agresseur : “C’est un leader. Les gens l’écoutaient”, évalue-t-elle. 

Après plusieurs rebondissements, Coyotte lui a finalement présenté des excuses publiques, lors d’une assemblée générale. La jeune femme se rappelle de chaque mot : “Je suis désolé si tu as ressenti que c’était une agression mais je ne me sens pas agresseur.” “Les gens l’ont applaudi”, précise Lola. Dépitée, elle a quitté la ZAD du Carnet en décembre 2020, tandis que Coyotte y restait. Sans domicile, elle a trouvé temporairement refuge chez plusieurs personnes à Nantes, puis dans d’autres ZAD, avant d’atterrir chez ses parents. “Je ne retournerai jamais en ZAD tant que je ne sais pas que mon agresseur est interdit de ZAD”, jure-t-elle aujourd’hui. Par téléphone, Loup, zadiste queer [2] de 25 ans qui a cotoyé Lola au Carnet, confirme les faits relatés par la jeune femme. Iel affirme : “Les ZAD seront un échec tant qu’elles excluront les minorités de genre et les femmes comme Lola, qui doivent s’auto-exclure.”

Collage à Paris en soutien à Lola (2021)
Photo tous droits réservés © Anna Wolska

Nombreuses sont les victimes à quitter les milieux antiautoritaires après l’agression et à renoncer à l’activisme, temporairement ou définitivement. Clara*, 31 ans, a vécu six mois dans un squat militant de Lyon, en 2018. Elle y a rencontré un homme violent, avec qui elle a formé un couple pendant un an. “C’était un an de merde ou j’ai été complètement manipulée à base de jalousie, de menaces, de vol, de violences physiques, d’abus sexuels et de pressions en tout genre”, se remémore-t-elle. Elle aussi a reçu peu de soutien des autres militant·es, alors qu’elle subissait ces violences parfois publiquement. Après la rupture, elle a renoncé à fréquenter les squats : “J’ai continué ma vie en camion en ne remettant plus les pieds en squat et en évitant Lyon, témoigne Clara. J’évite tous les actes militants collectifs de type manifestation ou assemblée générale. Ça m’a dégoûtée de ce milieu.

Ces victimes déplorent le déni des organisations antiautoritaires à l’égard du sexisme. Noan, qui a subi plusieurs agressions à Notre-Dame-des-Landes, estime “qu’il n’y a jamais eu de politique systémique vis-à-vis des violences sexistes et sexuelles” à l’intérieur de la ZAD. “Disons qu’il y avait une petite quantité de mecs bien réacs sur la question féministe (…), considérant que la ZAD, c’était déjà l’égalité (ce qui n’est évidemment pas vrai)”, détaille Noan par écrit. Lui non plus ne fréquente plus ce type de lieu et se dit “en dépression” depuis qu’il en est parti. « Si on regarde aujourd’hui l’état de Notre-Dame-des-Landes [3], ce sont surtout les dominants qui sont restés”, note-t-il. Noan accuse la hiérarchisation des luttes, à savoir la priorité donnée au combat écologiste et anticapitaliste par rapport à tous les autres, antisexistes ou antiracistes [lire l’encadré en fin d’article] par exemple : “LA lutte prime sur toutes les autres”.

“Ici, notre combat, c’est pas celui-là”

Les milieux militants donnent-ils la priorité à certaines luttes, au détriment de l’égalité interne ? Pour vérifier, je me suis rendue dans la ZAD de Saclay, créée en réaction au projet de construction d’une ligne de métro dans l’Essonne. Installée en bordure d’une route départementale, elle compte quelques cabanes construites en autonomie sur des terres agricoles prêtées par des paysan·nes du coin. En cette fin d’hiver, la boue colle aux bottes et les zadistes sont peu nombreux·ses sur place. Le vent dominant atténue un peu le vacarme de la circulation automobile. Dans la cabane principale, une demi-douzaine de personnes se croisent, font chauffer un thé ou discutent politique. Depuis 2021, ces occupant·es dénoncent la bétonisation du plateau de Saclay : “Ici, nous sommes 80% d’hommes et 20% de femmes”, précise Morgane, qui fréquente la ZAD en journée. “Pour le bricolage, poursuit-elle, c’est surtout des mecs en groupes. Pareil pour la construction des lieux de vie.” Au sujet des femmes qui restent vivre dans les camps, elle affirme : “Soit elles deviennent assez bonhommes, soit elles sont avec un mec de la ZAD.”

Assise dans un fauteuil de la cabane principale, un ordinateur sur les genoux, la militante juge sévèrement “les féministes radicales en opposition avec les mecs” qui organisent des chantiers en non-mixité dans certains lieux pour échapper au contrôle des hommes. “C’est une logique de séparatisme”, assène-t-elle. À sa gauche, Stéphane, un habitué de la ZAD qui ne dort pas non plus sur place, intervient pour raconter que des femmes sont venues dans le camp à l’été 2021 et ont écrit “des messages partout dans les toilettes au sujet du consentement, sans nous demander” : “Ici, notre combat, c’est pas celui-là.” Depuis son fauteuil, Morgane approuve d’un hochement de tête.

« Tu as un faux sentiment de sécurité »

Les associations féministes observent depuis longtemps les milieux militants et relèvent dans ces espaces des dynamiques constantes. “Les violences sexistes et sexuelles s’y produisent de la même manière qu’ailleurs, explique Louise Delavier, directrice des programmes de l’association En Avant Toute(s) qui milite pour l’égalité des genres et la fin des violences, en particulier auprès des adolescent·es et des jeunes adultes. Mais l’aspect communautaire renforce le silence. On imagine qu’on va abîmer le collectif en les dénonçant. C’est très mal vu et ça fait beaucoup culpabiliser les victimes.” Louise Delavier met l’accent sur “l’illusion d’égalité” dans ces espaces, ce que confirme une autre experte, Massica, membre des collectifs Marche féministe antiraciste, à Saint-Denis, et Relève féministe, en lutte contre les violences masculines dans les milieux militants. “Tu as un faux sentiment de sécurité dans ces endroits. Ces collectifs ne sont pas structurés : quand il se passe quelque chose, il n’y a pas de procédure de gestion de conflits.” La militante regrette que les violences sexistes et sexuelles “ne fassent pas partie des agendas politiques de ces espaces-là”.

Pour autant, certains de ces lieux de vie ont intégré des réflexes antisexistes à leurs pratiques quotidiennes. Parmi les initiatives documentées, on peut citer la mise en place en 2020 d’un numéro de téléphone “urgence agression” à contacter pendant les grands événements à Notre-Dame-des-Landes. Mais également, quelques mois avant sa fermeture en mars 2021, l’inauguration d’une cabane en non-mixité (sans hommes cisgenres [4]) dans la ZAD du Carnet.

Mais c’est en Suisse, à la Colline, un camp en lutte contre l’exploitation d’une carrière de ciment évacué la même année, que la prévention des violences est sans doute allée le plus loin. Jusqu’à sa fermeture, en 2021, les nouvelle·eaux arrivant·es étaient encouragé·es à consulter le manifeste contre les violences sexistes, sexuelles et queerphobes de la ZAD. “Nous avons instauré ce que nous avons appelé le ‘Aouch’, détaille Fouzia*, personne non-binaire ayant vécu quatre mois et demi sur place. En gros, il s’agissait d’un mot que n’importe qui pouvait dire si iel se trouvait en situation d’inconfort dû à un comportement sexiste ou macho, allant d’une trop grande prise de place d’un gars alcoolisé sur le dancefloor à des attouchements ou agressions. La personne à qui le ‘Aouch’ était destiné devait répondre ‘Je t’entends’ et se retirer.” La technique est un succès : « Ça a marqué plus d’une personne étant venue sur la ZAD”, se souvient Fouzia. 

Appeler la police ou non ?

Cependant, en cas d’agressions répétées et en l’absence d’organisation verticale, comment les militant·es présent·es sur les ZAD peuvent-iels réagir ? Doivent-iels solliciter les forces de l’ordre ? Et que faire des agresseur·ses, souvent récidivistes ? Ces questions se posent dans les milieux antiautoritaires, particulièrement depuis le début du mouvement #MeToo en octobre 2017.

La police et la justice françaises sont parfois sollicitées. Loup, personne queer, a vu son ex-compagnon condamné à onze mois de prison ferme après des violences conjugales, en octobre 2022. Iel l’avait rencontré dans la ZAD du Carnet. “Mais je ne sais pas s’il a été incarcéré”, confie Loup. Car l’homme a déjà passé deux mois en détention provisoire après l’agression physique qui a laissé des brûlures, des plaies et des bleus à la victime. Après sa condamnation, il a peut-être bénéficié “d’un aménagement de peine ou d’un bracelet électronique”, précise Loup. Iel a souffert de stress post-traumatique après cette relation.

D’autres victimes sollicitent les forces de l’ordre sans connaître le même traitement judiciaire. Dacha, 33 ans, a déposé plainte pour viols contre un ex-amant en février 2020. Elle l’avait rencontré un an plus tôt à l’assemblée générale des professeur·es d’Île-de-France, collectif en lutte contre les réformes lancées par le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Jean-Michel Blanquer. Cet amant l’a violée plusieurs fois, notamment dans son sommeil, et l’a harcelée quand elle l’a quittée. La professeure d’anglais n’a “aucune nouvelle” de sa plainte. Elle souligne les conséquences psychologiques et professionnelles de ces viols : “J’ai été mise en arrêt maladie tout de suite. Je n’ai pas fini l’année scolaire.” 

Mais en grande majorité, les personnes violentées renoncent à solliciter la police ou la justice française. Le 25 juillet 2022, le site d’information Mediapart révélait que le comité Vérité pour Adama, engagé contre les violences policières, avait couvert les violences sexistes de l’un de ses membres, Samir Elyes. Dans leur article, les journalistes Estelle Ndjandjo et David Perrotin citaient Line*, l’une des victimes, qui n’a pas souhaité porter plainte après les violences physiques et psychologiques qu’il lui a infligées : “Je n’allais pas me mettre entre les mains de la police ou de la justice, des institutions que je crains et en qui je n’ai aucune confiance. Je ne souhaite la prison à personne.”

Collage à Paris en soutien à Lola (2021)
Photo tous droits réservés © Anna Wolska

Parfois, les agresseur·ses sont simplement expulsé·es des milieux militants. Nombre de témoins citent l’exemple de Notre-Dame-des-Landes, où un homme accusé de violences conjugales répétées a été conduit hors de la ZAD, en 2016. “C’était une action non-mixte d’une cinquantaine de personnes, raconte Noan. On a occupé le lieu de vie de l’agresseur et on a fait en sorte qu’il ne revienne plus et qu’il ne puisse plus avoir accès à ses victimes.”

Cet exemple reste marginal car d’autres réponses peuvent être proposées aux victimes, notamment dans le cas où l’agresseur·se reconnaît les faits. Juliette Rousseau, éditrice et autrice de l’essai Lutter ensemble. Pour de nouvelles complicités politiques (Cambourakis, 2018) s’oppose à la pratique d’une justice répressive : “La logique punitive et carcérale qui exclut pour se concentrer sur la victime montre ses impasses”, argumente-t-elle par téléphone. Comment exclure un·e agresseur·se d’une ZAD et éviter qu’iel ne rejoigne un autre lieu de lutte, où iel pourrait violenter d’autres personnes ? Juliette Rousseau milite pour une justice transformative, qui fait évoluer les agresseur·ses et change la société toute entière. Ancienne de Notre-Dame-des-Landes, elle cite “le cas d’une agression homophobe : l’agresseur a dû quitter la zone pendant une certaine durée, faire un certain nombre d’actes, et revenir, en accord avec la victime”. Juliette Rousseau insiste : “La finalité, c’est quand même la transformation.” Un modèle similaire a été appliqué en Suisse, dans la ZAD de la Colline.

“On a vraiment manqué de force”

Là-bas, rapporte Fouzia, “un organe de gestion des agressions sexuelles par la justice transformative avait été créé. Son protocole consistait en priorité à écouter les besoins de la personne victime de l’agression.” Si cette dernière souhaitait éloigner l’agresseur·se, alors iel était exclu·e à durée indéterminée, “pour permettre à la victime de rester à la ZAD”. Pendant le temps de son éviction, détaille Fouzia, l’auteur·ice des violences recevait “des lectures portant sur la déconstruction de genre ou la provenance de comportements non acceptables”, mais également “des podcasts à écouter”. Iel était invité·e à participer à des discussions pour comprendre les logiques patriarcales intériorisées. L’exclusion se terminait si la victime consentait à ce que la personne revienne, ou en l’absence de la victime, “quand l’organe de gestion des agressions sexuelles considérait son processus de transformation suffisamment avancé”.

Si la lutte contre les violences sexistes fut “une priorité tout au long de l’existence de la ZAD de la Colline”, comme le souligne Fouzia, l’autonomie des “Zones à défendre” a empêché la circulation de ces pratiques féministes en France. Chaque organisation porte ses propres initiatives sans concertation avec les autres, ce que regrette l’experte et militante antiraciste Massica, qui appelle les collectifs à “faire des bilans” et à “créer des liens” entre eux. “On manque de partage d’expériences”, conclut-elle.

Action écoféministe à la ZAD de la Colline, en Suisse (2021)
Photo tous droits réservés © Nora Rupp

Par ailleurs, les personnes interrogées dans cette enquête pointent le manque de temps et d’investissement des militant·es, et en particulier des hommes cisgenres, comme principale limite à la justice transformative. “Notre organe de gestion a vraiment manqué de force (pas assez de personnes impliquées, trop de mouvement, difficile de faire un suivi stable), et surtout, ce fut principalement un travail assumé par des personnes assignées femmes”, déplore Fouzia dans un mail. L’épuisement guette les volontaires qui se relaient et manquent de ressources pour s’investir dans le temps long.

“La limite, c’est que tout isolé·es qu’on soit, la société, nos vécus, nos traumatismes, nos constructions nous rattrapent et qu’on fait de la merde”, soulève enfin Zora, une autre occupante du Carnet, en Loire-Atlantique. Elle signale un texte intitulé “ZAD et violences patriarcales”, publié sur le site de la ZAD en avril 2021. “Pour nous défendre auprès de l’opinion publique, nous avons pris l’habitude de ne mentionner presque que les aspects jouant en notre faveur. Cela pose un grave problème d’idéalisation de la ZAD pour celleux qui n’y ont jamais vécu”, peut-on y lire. Passée par ce camp, Lola témoigne des craintes des militant·es vis-à-vis des médias et du grand public : “L’image du collectif doit être préservée”, regrette-t-elle. Dans le texte publié sur leur site, les militant·es du Carnet présentent malgré tout leurs excuses à deux victimes, dont Lola, et lancent un appel : “Nous avons besoin d’être en nombre pour ne pas être forcé·es de vivre sous la domination des mascu, nous avons besoin de montrer que la révolution sera féministe et inclusive ou ne sera pas.” Le texte s’achève sur ces mots : “Crève l’image de la ZAD, crève le patriarcat !”

Marie Albert

2 juin 2023

* Les prénoms ont été modifiés pour respecter l’anonymat des personnes citées

[1]  « La non-binarité recouvre un ensemble d’identités qui ne se reconnaissent pas exclusivement dans un genre, féminin ou masculin » selon l’Association des journalistes LGBTQIA+

[2] Le mot queer fait référence aux personnes LGBTQIA+

[3] Depuis l’évacuation policière de la ZAD en 2018, environ 200 personnes vivent toujours dans la zone de l’ancien projet d’aéroport

[4] Une personne cisgenre s’identifie au genre qui lui a été assigné à la naissance, à la différence d’une personne transgenre

Les ZAD, une “utopie blanche”

Au combat antisexiste s’ajoutent d’autres luttes à investir au sein des milieux antiautoritaires, telles que celles contre le racisme, le validisme [5] ou les LGBTQIAphobies. “Il n’y a pas de transformation s’il n’y a pas de communauté, et elle doit reconnaître les oppressions systémiques”, insiste l’autrice Juliette Rousseau. À Notre-Dame-des-Landes par exemple, “la lutte est composée en grande majorité de personnes blanches”, écrit-elle dans son essai Lutter ensemble. Alors les zadistes réfléchissent peu à l’intersectionnalité des systèmes d’oppression. Dans un texte rédigé pour le recueil Éloge des mauvaises herbes (Les Liens qui libèrent, 2018), la réalisatrice et autrice afroféministe Amandine Gay dénonce même “l’utopie blanche” de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. “Il vous est impossible de comprendre que la ZAD, victime de la violence de l’État, est en même temps l’expression d’une autre violence, diffuse et ancestrale : celle qui consiste à oblitérer les non-Blancs de votre imaginaire et de vos luttes, écrit-elle. Si je savais que des groupes de migrants de Calais résidaient à la ZAD, je savais aussi que les milieux alternatifs racisés de Nantes ou Rennes, pourtant proches, fréquentaient peu – voire pas du tout – ce lieu.” Dans son texte, Amandine Gay souligne le “privilège blanc” des zadistes : “On riait souvent avec des potes en disant que si 200 à 300 Noirs ou Arabes s’amusaient à occuper un terrain en fumant des joints pour empêcher la construction d’un aéroport, on leur enverrait l’armée dès le premier jour.” Elle invite les militant·es à “s’inscrire dans une perspective écologiste et décoloniale”.

M. A.

[5] Le validisme est un système d’oppression qui vise spécifiquement les personnes handicapées

Pour me suivre sur les réseaux sociaux : @mariealbertfr

Pour découvrir les coulisses de mes enquêtes : patreon.com/mariealbertfr

Vous pouvez désormais soutenir mon travail sur Patreon :
Become a patron at Patreon!

Marie Albert

Aventurière, journaliste et autrice féministe

2 réflexions sur « Quand les violences sexuelles pourrissent les milieux antiautoritaires [enquête] »

  1. Super article, merci.
    J’ai particulièrement apprécié les passages sur la nécessité de prendre en compte toutes les formes de dominations dans le cadre d’une société autogérée. Et ça pointe à mon sens le principal problème des zad : comment faire pour que toustes les occupants aient la conscience nécessaire et soient ok pour acquérir le niveau de connaissance qui permette de voir en temps réel et d’agir instantanément quand les problèmes se présentent.
    Et l’autre point important soulevé c’est le partage des informations entre les zad, c’est un gros manque en effet.
    C’est pas gagné mais les articles comme celui ci peuvent aider au delà de simplement dénoncer des situations très graves.

  2. Merci pour cette tentative d’éclairage, malheureusement en-deça de la réalité oppressive ordinaire de ces milieux militants, en phase avec le reste de la société, et qu’il est d’ailleurs exagéré de qualifier d’anti-autoritaires, pour plusieurs raisons.
    D’une part, celleux qui se revendiquent anti-autoritaires le sont finalement rarement, au-delà de la simple posture ou du discours. D’autre part, on trouve sur des territoires en lutte, notamment à NDDL, un grand nombre de personnes ne se retrouvant pas dans cette pensée voire assumant sur le terrain quotidien, donc sous la couche de vernis politique, un regard franchement réactionnaire sur la question ‘sociale’, dans son sens large.

    De même, si on ne peut que se réjouir de certaines initiatives ou actions visibles, comme les protocoles anti VSS mis en place pour les évènements, cela n’empêche pas les militant.e.s ayant pensé ou pris part à ces dispositifs d’être beaucoup moins conscient.e.s quand il s’agit de faire face à des situations concrètes dans leurs propres espaces de lutte, c’est à dire quand cela confronte leur propre complicité dans l’impunité de certain.e.s personnes de leur entourage proche. Or, typiquement, c’est souvent à cet endroit que le bât blesse.

    Si nous voulons avancer sur ces questions, soyons honnêtes sur le constat : la question de la transformation sociale reste largement sous-explorée, dévoyée ou mal comprise, au profit de logiques d’exclusion (sociale) ou répressives qui, le plus souvent, déplacent ou aggravent les violences prétendument combattues. Pour le dire autrement, la question est soit niée, soit instrumentalisée, et pas toujours consciemment, à d’autres fins sociales.

    Bref, il y a une grande difficulté à reconnaître la complexité, néanmoins très simple à comprendre, depuis un certain point de vue, des reproductions sociales dans les luttes. Les milieux radicaux écolo sont par exemple majoritairement blancs et, de plus en plus, issus de la classe moyenne supérieure, voir au-delà. Certains assument également un certain virilisme. Partant de ce constat, il est facile de deviner qui n’y trouve pas sa place, voire s’en fait plus ou moins gentiment dégager à la moindre occasion. Et cela nous affaiblit considérablement, sur le plan politique.

    Nous vivons une période de crise politique, sociale, économique, environnementale aigüe, qui s’accompagne d’une aggravation des logiques oppressives à l’échelle de toute la société, il y a donc un enjeu très fort à ce que ces milieux militants développent une intelligence collective sur la violence des rapports sociaux qu’iels prétendent combattre, ses causes, ses manifestations, ses conséquences. A petite et à grande échelle. Et surtout, arrêtons de penser ces luttes anti-oppressives comme des combats à part. On ne peut comprendre le patriarcat séparément des mécanismes de classe et coloniaux, souvent très impensés dans ces milieux. Cela implique d’y consacrer du temps et d’accepter une part de conflit, ou plutôt de dialogue conflictuel. Les communautés de lutte qui se construisent sur des hégémonies sociales dominantes s’auto-aveuglent très facilement. Comme le dit très bien la chanteuse Casey : « ceux qui parlent du ‘vivre ensemble’, c’est ceux qui restent entre eux »…
    Et surtout, au-délà des situations individuelles terribles ou collectivement délétères, nous ne parviendrons pas à construire les confiances politiques solides, celles dont, justement, nous avons urgemment besoin pour les luttes de demain, si nous continuons ainsi. Enfin, voilà, y aurait des ‘chantiers collectifs’ de grande ampleur à mener sur ces questions. Mais dans certains espaces militants, nous en sommes malheureusement encore loin. Pourtant, avons nous le choix?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Revenir en haut de page