Je suis flexivĂ©gane et orthorexique 🍏

Photo tous droits réservés © Marie Albert

Ce texte est la version Ă©crite de l’Ă©pisode 53 de mon podcast Marie Sans Filtre, qui est diffusĂ© gratuitement sur toutes les plateformes d’écoute, ou Ă  cette adresse https://shows.acast.com/mariesansfiltre

Je galĂšre avec la nourriture. Je suis vĂ©gĂ©tarienne/vĂ©gane/flĂ©xitarienne/flĂ©xivĂ©gane depuis mon adolescence et je souffre d’un trouble du comportement alimentaire (TCA) appelĂ© orthorexie.

Je me dĂ©finis aujourd’hui comme « flĂ©xivĂ©gane » et orthorexique. Dans mon cas, ces deux notions sont liĂ©es. Vous ne les connaissez pas ? Je vous explique :

  • “FlexivĂ©gane” est un mot que j’ai inventĂ©. Il fait rĂ©fĂ©rence au rĂ©gime vĂ©gane (qui exclut tous les produits animaux tels que la viande, le poisson, les Ɠufs et le miel) et au rĂ©gime flexitarien (qui limite simplement la quantitĂ© de viande et poisson ingĂ©rĂ©s). Je me dĂ©finis comme flexivĂ©gane car je ne consomme aucun produit animal chez moi, dans mon appartement de Cherbourg, quand je cuisine, mais il m’arrive d’en consommer lorsque je sors avec des ami·es, que j’achĂšte un sandwich triangle au supermarchĂ© ou que je passe le week-end chez mes parents. 
  • L’orthorexie est – selon moi – un trouble du comportement alimentaire (au mĂȘme titre que l’anorexie, la boulimie et l’hyperphagie) caractĂ©risĂ© par la volontĂ© obsessionnelle de contrĂŽler les aliments ingĂ©rĂ©s, de privilĂ©gier les produits sains et de bannir les produits “malsains” (produits animaux, fast food, gluten, aliments non bio, etc.). Je souffre d’orthorexie depuis plusieurs annĂ©es. D’abord, j’ai retirĂ© les produits animaux de mon alimentation (je suis devenue vĂ©gĂ©tarienne Ă  l’adolescence puis vĂ©gane Ă  vingt ans). Puis, j’ai rejetĂ© les produits non issus de l’agriculture biologique. Ensuite, j’ai retirĂ© le gluten de mes repas (pains, pĂątes, etc.). Finalement, je suis passĂ©e au zĂ©ro dĂ©chet et j’ai refusĂ© d’acheter des aliments emballĂ©s, quels qu’ils soient. J’ai mĂȘme commencĂ© Ă  faire des jeĂ»nes et des monodiĂštes sur plusieurs jours. Un beau dĂ©lire de bourgeoise parisienne, me direz-vous.
Podcast Marie Sans Filtre, épisode 53 © Marie Albert

Si vous avez suivi, vous comprenez que mon flexivĂ©ganisme et mon orthorexie s’opposent a priori car aujourd’hui je mange des produits animaux quand je sors de chez moi. Je ne contrĂŽle plus tout ce que j’ingĂšre. J’essaie de lutter contre l’orthorexie et de me laisser tranquille. Quand j’ai faim, je mange ce qui me fait envie. Mais ce n’est pas facile tous les jours. L’orthorexie me fait beaucoup souffrir. J’ai vĂ©cu plusieurs crises d’orthorexie. C’est comme des crises d’angoisse. Il s’agit de moment pendant lesquels je n’arrive pas Ă  trouver des produits sains. Alors je panique. Dans ces cas-lĂ , soit je cesse de m’alimenter, soit je craque et je mange des produits “malsains”. S’ensuit beaucoup de culpabilitĂ© et de honte. Je vous raconterai l’une de ces crises un peu plus tard.

Loin de moi l’idĂ©e de diaboliser les rĂ©gimes vĂ©gĂ©tarien ou vĂ©gane. Je me dĂ©finis comme antispĂ©ciste (opposĂ©e Ă  la domination des humains sur les autres animaux) et je refuse (en thĂ©orie) de tuer ou de faire tuer des animaux pour ma propre consommation. Je pense qu’il faut fermer tous les abattoirs, arrĂȘter la pĂȘche et laisser tous les ĂȘtres vivants qui peuplent cette Terre tranquilles. Dans un contexte de crise climatique, des Ă©tudes montrent que l’élevage, par exemple, reprĂ©sente plus de la moitiĂ© des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre de l’agriculture en France mĂ©tropolitaine.


Article des Décodeurs © Le Monde

Une Ă©tude de la Oxford Martin School avait conclu en 2016 que l’adoption massive d’un rĂ©gime vĂ©gĂ©tarien au niveau mondial rĂ©duirait de deux tiers les Ă©missions de COÂČ liĂ©es Ă  l’alimentation. Chaque annĂ©e, au moins 150 milliards d’animaux sont tuĂ©s pour ĂȘtre mangĂ©s, soit prĂšs de 2000 par seconde dans le monde. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que 70% de la surface agricole mondiale est utilisĂ©e pour l’Ă©levage (pĂąturage du bĂ©tail et production de cĂ©rĂ©ales destinĂ©es Ă  les nourrir). En Ă©levage industriel, la production d’un kilogramme de bƓuf requiert, par ailleurs, 13 500 litres d’eau.

Je pourrais continuer pendant des heures Ă  citer des chiffres tous plus effrayants les uns que les autres. Je pense qu’il faut passer de l’agriculture conventionnelle (pesticides, engrais et tout le tralala) Ă  une agriculture biologique, le plus vite possible. Je pense qu’il faut supprimer tous les emballages. Je pense que manger trop de gluten (pain, pĂątes, etc.) n’est pas bon pour le transit intestinal. 

Je tiens Ă©galement Ă  souligner que les rĂ©gimes vĂ©gĂ©tarien et vĂ©gane ne sont pas des inventions occidentales et “bobos Ă©colos”. De nombreuses sociĂ©tĂ©s humaines se passent de produits animaux depuis des siĂšcles. À ce sujet, je vous recommande d’écouter l’excellent Ă©pisode du podcast Bouffons intitulĂ© “Pour en finir avec le vĂ©ganisme blanc” enregistrĂ© par la journaliste Émilie Laystary avec l’anthropologue Laurence Ossipow et l’activiste afro-vĂ©gane Mangeuse d’herbe. Il m’a permis de dĂ©coloniser le rĂ©gime vĂ©gane, que je m’étais appropriĂ©. Je pensais que c’était un privilĂšge blanc, d’ĂȘtre vĂ©gĂ©tarienne ou vĂ©gane, alors que non.

Podcast Bouffons, Ă©pisode 118 © Nouvelles Écoutes

Pour vous faire un bref historique, je suis devenue pescovĂ©gĂ©tarienne Ă  quatorze ans (j’ai exclu la viande de mon alimentation mais j’ai gardĂ© le poisson et les Ɠufs) pour faire chier mes parents. D’ailleurs, ça a bien marchĂ©. Iels m’ont quand mĂȘme forcĂ©e Ă  manger de la viande deux fois par semaine (violences intrafamiliales) jusqu’à ma majoritĂ©. Mon nouveau rĂ©gime les a vraiment Ă©nervé·es, surtout ma mĂšre. Elle pensait que j’étais en danger, que c’était mauvais pour ma santĂ© d’arrĂȘter la viande (alors que c’est plutĂŽt l’inverse). Alors elle m’a forcĂ©e Ă  faire des prises de sang pour vĂ©rifier si je manquais de fer et ça n’a pas loupĂ©. J’ai toujours Ă©tĂ© carencĂ©e en fer. J’ai longtemps cru, comme elle, que c’était liĂ© Ă  mon vĂ©gĂ©tarisme alors que pas du tout. J’ai compris rĂ©cemment que seules mes rĂšgles abondantes et rapprochĂ©es sont responsables de ma carence chronique en fer. Je me vide de mon sang tous les 22 Ă  25 jours. Je peux manger autant de viande que je veux (ça a Ă©tĂ© le cas en 2021-2022 quand j’ai vĂ©cu chez mes parents et mangĂ© des produits animaux Ă  tous les repas), je serai toujours en manque de cet oligoĂ©lĂ©ment prĂ©cieux. Je dois prendre des complĂ©ments alimentaires.

À 20 ans, j’ai dĂ©cidĂ© de passer au rĂ©gime vĂ©gane aprĂšs avoir vu un documentaire sur le sujet dans un cinĂ©ma lillois. Je ne me rappelle plus de son titre. Étudiante, je vivais seule Ă  Lille et mes parents payaient mes Ă©tudes et mes courses (iels faisaient des virements mensuels sur mon compte bancaire) donc j’ai pu passer du supermarchĂ© Ă  l’épicerie bio (seul endroit oĂč trouver du bon tofu) sans souci financier. J’achetais ce que je voulais. J’ai vidĂ© mes placards des produits animaux (miel, par exemple) pour les remplacer par des produits vĂ©ganes (sirop d’agave ou d’érable). 

À la fin de mes Ă©tudes, j’ai dĂ©mĂ©nagĂ© Ă  Paris et j’ai dĂ©couvert le rĂ©gime sans gluten et le mouvement zĂ©ro dĂ©chet. J’ai privilĂ©giĂ© les courses en vrac. J’ai commencĂ© Ă  faire des cures de jeĂ»ne. Par exemple, j’arrĂȘtais de m’alimenter pendant plusieurs jours pour ingurgiter uniquement du jus de carotte. Ou je faisais un monodiĂšte de fruits rouges pendant une semaine. Avec un salaire de journaliste Ă  l’Agence France-Presse, j’avais les moyens de payer des framboises bio par kilo
 Ce n’est plus le cas aujourd’hui (sniff).

J’ai dĂ©couvert le terme orthorexie Ă  la fin des annĂ©es 2010. Les milieux fĂ©ministes s’en sont peu Ă  peu emparĂ©, pour souligner la difficultĂ© Ă  suivre un rĂ©gime vĂ©gĂ©tarien ou vĂ©gane quand on lutte soi-mĂȘme avec des troubles du comportement alimentaire, par exemple. D’ailleurs, la majoritĂ© des personnes vĂ©gĂ©tariennes ou vĂ©ganes en France sont des personnes sexisĂ©es (femmes, minoritĂ©s de genre). Et 80% des personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire (TCA) sont aussi des personnes sexisĂ©es. J’aimerais qu’il existe davantage de contenus qui articulent ces diffĂ©rents rĂ©gimes et troubles : vĂ©gĂ©tarisme, vĂ©ganisme, orthorexie et autres troubles du comportement alimentaire (anorexie, boulimie, hyperphagie). Je n’arrive pas Ă  remettre la main sur ces publications ou stories Instagram, d’ailleurs. Je sais que plusieurs fĂ©ministes influentes avaient Ă©voquĂ© ce problĂšme mais je ne me rappelle plus qui. Si vous avez ces contenus en tĂȘte, n’hĂ©sitez pas Ă  me les envoyer. Merci d’avance.

Je viens de lire un article de Lallab Magazine, le mĂ©dia de l’association fĂ©ministe et antiraciste Lallab, qui date de juin 2017, au sujet des femmes musulmanes souffrant de troubles du comportement alimentaire et de leur vĂ©cu du ramadan. Houria y tĂ©moigne au sujet de l’anorexie et Sarah au sujet de l’hyperphagie. C’est trĂšs intĂ©ressant. Je vous recommande cette lecture.

Personnellement, j’ai fait une trĂšs grosse crise d’orthorexie en janvier 2019 en Chine. Je patientais dans la ville de Ningbo entre deux embarquements, pendant mon tour du globe en cargo. J’ai passĂ© une semaine lĂ -bas et il Ă©tait presque impossible de respecter mon rĂ©gime vĂ©gane car je dormais dans une auberge de jeunesse sans cuisine commune (j’aurais pu me nourrir exclusivement de fruits et de lĂ©gumes crus mais je ne l’ai pas fait). Je mangeais donc beaucoup au restaurant. Je n’ai pas trouvĂ© d’adresse vĂ©gĂ©tarienne pendant mon sĂ©jour. Un midi, je me retrouve dans un restaurant Pizza Hut en centre-ville. Il pleut dehors et j’ai trĂšs froid. Je passe trois quart d’heure devant le menu sans arriver Ă  me dĂ©cider. Est-ce que je prends la seule pizza vĂ©gĂ©tarienne (avec du fromage) ou ce plateau de viande et poissons frits qui me fait de l’Ɠil ? Je me sens coupable et honteuse. Je fais une crise d’angoisse. Au bout d’un trĂšs long moment de panique, je me dĂ©cide et je commande les deux. J’ai si faim. Je me rĂ©gale. Ce jour-lĂ , je dĂ©cide de passer du rĂ©gime vĂ©gane au rĂ©gime flexivĂ©gane. Je raconte cette histoire et ses suites dans mon livre La Puissance, d’ailleurs.

Livre La Puissance © Marie Albert

Il m’a fallu encore plusieurs annĂ©es pour me sentir lĂ©gitime dans ce nouveau rĂ©gime. Alors que je le rappelle souvent : la plupart des hommes cisgenres mangent “de tout”, se contrefoutent du sort des animaux et de la crise climatique aggravĂ©e par l’élevage (je sais, je les mets tous dans le mĂȘme panier, c’est pas sympa). Ils n’ont pas cette charge mentale. Aujourd’hui, je continue de culpabiliser quand je mange un bout de saucisson au bar avec des mecs qui ont oubliĂ© qu’un cochon vivant a dĂ» crever pour eux/nous.

Et rĂ©cemment, j’ai lu un livre qui a titillĂ© mon orthorexie. Il s’appelle Faites vos glucose rĂ©volution, vous en avez peut-ĂȘtre entendu parler. C’est un Ă©norme succĂšs planĂ©taire. Son autrice s’appelle Jessie InchauspĂ© et elle est biochimiste. Elle propose de lisser nos courbes de glycĂ©mie (les pics de glycĂ©mie sont mauvais pour la santĂ© et favoriser des maladies telles que le diabĂšte de type 2) en modifiant l’ordre dans lequel on mange les aliments. Elle suggĂšre de boire un peu de vinaigre avant de manger des fĂ©culents, de manger des fibres avant de manger des fĂ©culents, de faire des squats aprĂšs avoir mangĂ© des fĂ©culents, de supprimer les encas sucrĂ©s entre les repas, etc. Tout ça, pour Ă©viter les pics de glycĂ©mie et les dĂ©sagrĂ©ments qui leur succĂšdent. J’ai Ă©tĂ© tentĂ©e d’appliquer TOUS ses conseils mais ils me paraissent trĂšs rigides et peu applicables “en sociĂ©tĂ©â€. Surtout, j’ai commencĂ© Ă  culpabiliser quand je ne les appliquais pas. Pourtant, je n’ai aucun problĂšme de santĂ© ou de digestion. Je n’ai pas l’impression de souffrir de pics de glycĂ©mie. Bref, mon orthorexie a kiffĂ© cette lecture alors que moi pas du tout. Je pense que ce livre peut dĂ©clencher des crises de TCA Ă  de nombreuses personnes. Je me suis donc empressĂ©e de “l’oublier” et je n’applique presque plus ses recommandations.

Livre Faites votre glucose révolution © Jessie Inchauspé

Je ne suis pas parfaite et mon nouveau rĂ©gime flexivĂ©gane me fait toucher la dissonance cognitive. Je cuisine vĂ©gane et “sain” chez moi mais je mange “n’importe quoi” dehors. Au moins, je me prends moins la tĂȘte. Je me sens plus sereine et heureuse. Mais mon bien-ĂȘtre actuel vaut-il la peine de tuer et manger des animaux ? Car c’est ce que je fais, indirectement. Je me pose beaucoup de questions. 

J’ignore quel sera mon rĂ©gime alimentaire demain, mais aujourd’hui mardi 9 mai 2023, c’est celui-lĂ . Quand je suis en voyage ou en randonnĂ©e, j’achĂšte ce qui me donne envie Ă  l’épicerie du village. Je ne me nourris pas exclusivement d’avocat et de houmous. Je mange des sandwich triangles au jambon de mauvaise qualitĂ©. Quand je suis chez moi, je n’achĂšte aucun produit animal et je cuisine uniquement vĂ©gane. J’adore ça. Je peux passer des heures Ă  prĂ©parer des rouleaux de printemps au tofu et au concombre, un bol de ramens aux Ă©pinards ou un parmentier de patate douce aux lentilles vertes. Je sais que je vous fais saliver rien qu’en citant ces merveilleux plats. La cuisine vĂ©gane est inventive et infinie. Je ne m’ennuie jamais. Je me sens en excellente santĂ©. Je fais beaucoup de sport. Mon empreinte carbone est bien infĂ©rieure Ă  celle de mes parents viandard·es.

Pause dßner sous ma tente © Marie Albert

VoilĂ , je clos cet Ă©pisode avec du positif. Merci beaucoup pour votre lecture. Plus que jamais, j’aimerais avoir vos impressions. Êtes-vous vĂ©gĂ©tarien·ne ? VĂ©gane ? Souffrez-vous d’orthorexie ? Ou d’un autre trouble du comportement alimentaire ? Comment vivez-vous avec ? Comment conciliez-vous vos convictions et votre santĂ© mentale et physique, au quotidien ? Vous pouvez commenter cet article pour me rĂ©pondre.

Marie Albert

9 mai 2023

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Marie Albert

AventuriÚre, journaliste et autrice féministe

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