J’en ai marre de dire « dĂ©solĂ©e » douze fois par jour et d’ĂȘtre sermonnĂ©e par des mecs sexistes. J’en ai marre de me dĂ©valoriser et de souffrir du syndrome de l’impostrice. Je rĂȘve qu’on se lĂšve, qu’on soit fiĂšr·es et qu’on se casse. Je rĂȘve que les agresseurs regardent leurs pieds en nous priant de bien vouloir les excuser.Â
Lis ou Ă©coute cet Ă©pisode pour prendre l’ultime rĂ©solution : ne t’excuse plus, jamais.
Mon podcast Marie Sans Filtre est diffusĂ© sur toutes les plateformes dâĂ©coute, ou Ă cette adresse : anchor.fm/mariesansfiltre
Je m’appelle Marie Albert, j’ai 26 ans et j’habite Ă Alençon (Normandie). Je suis aventuriĂšre, journaliste et autrice fĂ©ministe. Je me dĂ©finis comme une femme cisgenre pansexuelle dĂ©pressive blanche jeune mince et athĂ©e. Â
Dans ce podcast, je raconte mes expĂ©riences intimes. Je construis mon personnage public. Je dĂ©construis le patriarcat. Aujourdâhui, jâarrĂȘte de mâexcuser.
Je te rappelle l’Ă©pisode âJe suis une salope Ă©thiqueâ de mon podcast, dans lequel jâaccuse un ex, J., de mâavoir slut-shamĂ©e (traitĂ©e de salope) en 2012. Le 4 janvier 2021, J. m’Ă©crit pour me demander de retirer son prĂ©nom du podcast. Il ne sâexcuse pas, il ordonne, au nom de sa âvie privĂ©eâ.
Je ne mâexcuse pas non plus et je refuse sa demande. Je le bloque car il me harcĂšle. Cet Ă©vĂ©nement me rappelle le jour oĂč jâai dĂ©cidĂ© dâarrĂȘter de mâexcuser. CâĂ©tait pendant mon tour du globe en cargo, en avril 2019 :
Un soir, je mâinstalle dans le carrĂ© privĂ© des marins philippins pour regarder la tĂ©lĂ©vision. Je ne pense Ă rien. Mon estomac gronde, je me lĂšve pour prĂ©parer un casse-croĂ»te. Je me sers dans le frigo du carrĂ© privĂ© de lâĂ©quipage français. Je prends du fromage, du beurre et du pain pour confectionner un sandwich. Le capitaine me surprend et me fait la morale. Je porte un t-shirt gris et un mini-short : il me regarde de haut en bas avec dĂ©dain. Je ne mâexcuse pas, jâaffirme que les marins français mâautorisent Ă me servir dans leur frigo. « Ce nâest pas votre nourriture, rĂ©plique le capitaine. Vous nâavez rien Ă faire ici. » Je comprends que je dois rester Ă ma place : dans ma cabine ou dans le carrĂ© privĂ© des passager·es. Je déçois le chef Ă bord. Il me traite comme une petite fille malpolie. Je mâĂ©nerve, jâai envie de hurler et de casser. « Vous devez sortir dâici, insiste le capitaine. Ne revenez que si vous y ĂȘtes invitĂ©e. » Je sors du carrĂ© et rejoins les marins philippins de lâautre cĂŽtĂ©. Ils regardent toujours la tĂ©lĂ©vision. Je suis choquĂ©e, je ne comprends pas lâemportement du capitaine. Je pense : les marins français mâinvitent dans leur carrĂ©, je nâai pas besoin dâautorisation pour prendre un morceau de pain. Dans ma tĂȘte, jâinsulte le capitaine : « Salaud. » Jâai envie de dĂ©barquer, de quitter ce bateau commandĂ© par un connard. Il tient Ă la hiĂ©rarchie : les passager·es restent dans leur cabine, chacun·e Ă sa place. Je ne respecte pas la hiĂ©rarchie, je discute avec tout le monde, je frĂ©quente tous les carrĂ©s privĂ©s, il ne le supporte pas. Sa rĂ©action me chagrine et me rĂ©volte. Je ne peux me confier Ă personne. Je nâai pas dâamis ici, je me sens seule. Je crois quâaucun marin ne comprend ma colĂšre. Partager mon rĂ©cit me dessert. Je suis condamnĂ©e Ă la solitude, avec mon histoire et ma colĂšre. Je rĂ©flĂ©chis : pourquoi cette engueulade ? Pour mâapprendre quoi ? Ă rester en place ? A demander lâautorisation ? A reconnaĂźtre mes torts ? A mâexcuser ? Je prĂ©fĂšre apprendre Ă gĂ©rer ma frustration, ma colĂšre et ma culpabilitĂ©. Je refuse que mes Ă©motions me submergent. Je veux gagner confiance en moi, et ne plus me soucier de ce que lâautre pense de mon attitude. Je nâagis pas mal, je le sais. Je prends un bout de fromage et de pain. Ils appartiennent Ă lâensemble de lâĂ©quipage, pas au capitaine. Je paie pour voyager sur ce cargo, jâai le droit de me servir. Je vais lĂ oĂč il ne mâattend pas. Je ne demande pas lâautorisation. Je prends ce qui mâest dĂ». Je me sens lĂ©gitime. Jâignore seulement comment accueillir les Ă©motions nĂ©gatives. La souffrance mâest insupportable. Je ne supporte pas la contrariĂ©tĂ©. Elle heurte mon Ă©go, qui ne sâen remet pas. Je broie du noir pour des broutilles. Je manque de confiance en moi. Je me sens de plus en plus seule Ă mesure que jâavance dans la vie. Ma confiance sâamenuise, je ne supporte pas la critique. Je souffre du syndrome de lâimpostrice. OĂč suis-je Ă ma place, sinon ici et maintenant ? Jâai besoin de me confier, mais Ă qui ? De lâintĂ©rĂȘt dâavoir des ami·es.
Je me sens coupable et vexĂ©e aprĂšs mon altercation avec le capitaine français. Je pense Ă lui prĂ©senter mes excuses. Puis jâĂ©coute le podcast Yesss consacrĂ© aux femmes qui rĂ©pondent au sexisme. « Les femmes sâexcusent bien plus que les hommes, souvent pour rien », explique lâune des journalistes. Je rĂ©alise que je mâexcuse tout le temps. Cela ne mâapporte rien, pas mĂȘme bonne conscience. Je ne mâexcuse pas auprĂšs du capitaine, parce que je ne suis pas dĂ©solĂ©e. Je ne reconnais pas mes torts. Je ne suis pas dâaccord avec lui, je ne me sens plus coupable ni responsable de notre dispute. Au contraire, je me sens fiĂšre et puissante : je refuse de demander lâautorisation. Ce capitaine est maniaque du contrĂŽle. Je ne me torture plus Ă interprĂ©ter ses propos : « Je suis nulle, malpolie », « Je suis une mauvaise personne », « Je ne vaux rien ». Je me sens lĂ©gitime Ă pĂ©nĂ©trer dans les espaces communs des Philippins et des Français. Je me sens lĂ©gitime Ă me servir Ă manger. Je me sens lĂ©gitime Ă ĂȘtre lĂ oĂč on ne mâattend pas. Je me sens lĂ©gitime Ă poser des questions qui dĂ©rangent. Je ne reste pas dans mon coin : câest mon mĂ©tier. Je prends toute la place : câest ma personnalitĂ©. Le syndrome de lâimpostrice me fatigue. Je nâai pas Ă me sentir seule parce quâune seule personne me critique. Bien dâautres personnes mâentourent et me veulent du bien. Je mĂ©rite dâĂȘtre aimĂ©e et je le suis, pas par nâimporte qui. Je ne suis pas discrĂšte. Je fais du bruit, je suis maladroite, je parle fort et je suis bavarde. Je ne mâexcuse plus de lâĂȘtre. Les hommes ont depuis trop longtemps la parole. Je gagne en confiance en moi sans psychologue. Je me couche forte, remontĂ©e, motivĂ©e. Je veux quâon me remarque, et câest le cas. Je ne ressens aucune honte. Le podcast Yesss me donne une force, celle de plus jamais dire « DĂ©solĂ©e ».
Le lendemain, je monte Ă la passerelle observer lâocĂ©an. Le capitaine me salue : « Comment ça va ? ». Je souris et rĂ©plique : « Et vous ? » Il a dĂ©jĂ oubliĂ© lâincident. Le cargo tangue tant que je ne dors plus. Le dĂ©calage horaire mâĂ©puise Ă©galement. Je lis le premier tome de la sĂ©rie MillĂ©nium, Ă©crit par Stieg Larsson : Les hommes qui nâaimaient pas les femmes. Je pense au pire conseil reçu : « ArrĂȘte de faire ton intĂ©ressante. » Je remercie mon pĂšre. Et si jâai envie de faire mon intĂ©ressante ? Et si je suis intĂ©ressante ? Je ressens encore la culpabilitĂ© dâattirer lâattention. Et si je mĂ©rite lâattention ? Je suis lâhĂ©roĂŻne de ce roman. Je suis lâhĂ©roĂŻne de ma vie. « ArrĂȘte de faire ton intĂ©ressante. » Je remercie mon pĂšre. Câest dĂ©sormais mon but. Je suis mortelle et imparfaite. Je me compare Ă ma meilleure amie Anja que je considĂšre comme la perfection incarnĂ©e. Au contraire dâelle, je bois, je fume et je mange de la viande. Ă la fin de lâhistoire, je mourrai. Le plus tard ou le plus intensĂ©ment possible ? Je passe ma vie Ă concilier mon aspiration Ă vivre le plus longtemps et celle de vivre le plus heureusement. « Tu exagĂšres » : une autre phrase que jâentends. Je nâexagĂšre pas. Je suis une personne intense, pour citer une amie. « Que tu es bavarde », ajoute ma mĂšre. Je mâexcuse auprĂšs de John de « parler trop », alors quâil ne sâen plaint pas. Je culpabilise dĂšs que jâouvre la bouche plus de cinq minutes, pour parler de moi. Je me sens illĂ©gitime Ă monopoliser la parole. Je crains que mon interlocuteur·ice ne mâĂ©coute pas. Je dĂ©sire toute lâattention que je mĂ©rite, or je culpabilise de la demander. Je refuse dâapparaĂźtre comme un pot de fleurs, je participe Ă toutes les conversations. Je me montre bruyante, maladroite et extravertie. Je prends de la place, je ne connais pas la discrĂ©tion. Ce qui ne mâempĂȘche pas dâĂ©couter mes ami·es. ĂgoĂŻste, narcissique et Ă©gocentrĂ©e le jour, je deviens gĂ©nĂ©reuse, Ă lâĂ©coute et curieuse la nuit.
Mon tour du globe en cargo se termine à Marseille. Je ne salue pas le capitaine à mon départ, ni le second-capitaine.
Je publie ce texte sur Instagram, en novembre 2020 :
« ArrĂȘte de faire ton intĂ©ressante », m’ont souvent ordonnĂ© mes parents. Aujourd’hui, je le revendique : je suis intĂ©ressante. Je suis belle, intelligente et talentueuse. « L’Ă©go est un enjeu du fĂ©minisme », j’ai entendu dans le documentaire Clit Revolution. Cessons de jouer aux modestes et dociles petites filles. Nous sommes bien meilleur.es que Trump, Macron et tous les autres. Ils sont mĂ©diocres. Soyons prĂ©tentieux.ses.
Conclusion : je ne m’excuse plus. Du moins, j’essaie.
Et toi ? Tâexcuses-tu ? Arrives-tu Ă lâĂ©viter ? Ăcris-moi pour me le dire.
Marie Albert
8 janvier 2021
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