Malbouffe, alcool et tabac au menu de l’hôpital

Manger mal à l’hôpital est un lieu commun. Beaucoup de malades se réfugient dans l’alcool et le tabac, encore tolérés par les médecins. Entre malbouffe, vin et cigarette, comment soigner à moindre coût ? Des solutions existent – cuisine maison, bio, alternatives à la clope – mais peinent à émerger.

“L’alcool participe à la convivialité”, considèrent certain.e.s diététicien.ne.s en milieu hospitalier. Carl*, 32 ans, garde le souvenir d’un centre de rééducation à Montauban (Tarn-et-Garonne) où “l’on sert du vin rouge à table le midi et le soir”. Nombre d’Ehpad (Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) ont la même habitude. Certain.e.s patient.e.s sont privé.e.s de boisson, selon les médicaments administrés. L’eau en bouteille, quant à elle, est payante en dehors des repas. “Si l’alcool est servi en quantité raisonnable, pas plus d’un verre par jour, pourquoi pas”, justifie la diététicienne Ariane Grumbach, contactée par téléphone.

Au centre de rééducation de Châtillon (Hauts-de-Seine), l’alcool est strictement interdit. Aide-soignante de profession, Jessica “trouve ça carrément normal. Vus les médicaments qui tournent ici, mieux vaut éviter les mélanges”. Outre ses conséquences immédiates sur le cerveau et le foie, l’alcool est la deuxième cause de décès prématurés en France (49.000 en 2009), car il provoque plus de 200 maladies dont plusieurs cancers. Même consommé en petite quantité, soit 1,3 verre par jour, il serait responsable de 1.100 morts par an.

“Les cigarettes, c’est beaucoup moins dangereux”, estime Jessica, opérée plusieurs fois du genou. Elle fume “dix cigarettes par jour, depuis 21 ans”. Si le personnel des hôpitaux tolère le tabagisme, “c’est parce qu’ils n’ont pas le choix, juge-t-elle, clope au bec devant le centre de Châtillon. Ils ne peuvent pas faire les flics à gogo et contrôler les cigarettes”. L’aide-soignante reconnaît que “le tabac augmente les risques d’infection après l’opération”. Elle n’est pas parvenue à arrêter avant de se faire poser une prothèse de genou.

Sa co-patiente Laurence, 53 ans, a réussi. “J’ai fumé pendant 24 ans et j’ai arrêté définitivement à 40 ans. Je toussais tout le temps. Mon médecin m’a dit : ‘Je vous soigne si vous arrêtez de fumer’.” Stopper le tabac à 40 ans améliore l’espérance de vie de sept ans. La cigarette a des effets directs et indirects sur les fumeurs, qu’ils soient actifs ou passifs. Un cancer sur trois est dû au tabagisme. Fumer est l’un des principaux facteurs d’infarctus et d’AVC (accident vasculaire cérébral). En France, le tabac est la première cause de mortalité évitable, devant l’alcool, avec 73.000 décès chaque année.

Au centre de rééducation, Laurence estime pourtant “qu’il est heureux que les fumeurs puissent sortir dehors. Le tabac, c’est du poison mais c’est difficile d’arrêter. Je pourrais reprendre si j’étais amputée ou si j’avais un truc grave”. De l’autre côté de la porte d’entrée se trouve justement Didier, amputé et fumeur. Il consomme “un paquet de cigarettes sans filtre par jour”. “Je n’ai pas de plaisir, je fume machinalement. Je veux arrêter mais ça va être très dur”, confie-t-il. “Le tabac est un régulateur de stress, une occupation, confirme Ariane Grumbach. L’interdire à l’hôpital, c’est pas possible.”

Deux euros le repas

“Que ton alimentation soit ta première médecine”, dictait le médecin grec Hippocrate. Faute de régulation de l’alcool et du tabac, “la nourriture est importante pour les muscles, pour se rééduquer, surtout dans un centre de rééducation”, souligne Karine, internée à Châtillon depuis quelques semaines. Sauf que le budget alimentation des hôpitaux se réduit comme peau de chagrin : moins de deux euros par repas en moyenne. “La diététicienne a un cahier des charges et elle fait un appel d’offres aux sociétés de cantine [Sodexo, Elior, entre autres], résume Karine, qui déguste un plat de pâtes trop cuites. Ici, la directrice a dit à la nutritionniste que l’offre qu’elle avait choisie était encore trop chère. Elle a dû baisser le budget de 40 centimes.”

La nourriture représente environ 2% du budget des hôpitaux en France. “Je pense qu’on mange mieux dans le privé, évalue la diététicienne Ariane Grumbach. A l’Institut Curie [lutte contre le cancer], on propose des choses qui plaisent vraiment aux patients, presque du sur-mesure.” Un constat loin d’être partagé par les malades interrogé.e.s. Un jour hospitalisée dans une clinique parisienne, Laurence, 53 ans, se souvient avoir été “malade, intoxiquée” par la nourriture servie.

Dans la plupart des établissements, les repas sont en fait préparés à distance, par de grands groupes qui les livrent aux hôpitaux, “en liaison froide”. Attablé devant un plat de riz blanc au poulet, Jean-Yves dénonce que le centre de rééducation de Châtillon “achète beaucoup en boite. Il pourrait y avoir un peu plus de fait maison”.

Tou.te.s les patient.e.s interrogé.e.s pointent la médiocrité des repas servis. “Il y a peu d’originalité, se plaint Michel, 69 ans. Les mêmes plats reviennent fréquemment : la semoule et le poulet, par exemple.” Et de pointer le pain, “une catastrophe”. “Ca ne mérite pas d’être appelé du pain. Boulanger, c’est un vrai métier.” Il ne consomme que les croûtons, plus goûteux.

“J’ai perdu quinze kilos”

Un tiers des repas servis à l’hôpital ne sont pas consommés et donc jetés. “Il y a beaucoup de gaspillage, c’est choquant. Mails ils ne peuvent peut-être pas gérer” la quantité de nourriture, déplore Laurence, hospitalisée à Châtillon. Le Comité national de l’alimentation (CNA) a récemment évalué que l’hôpital enregistre les plus gros gaspillages de la restauration collective en France.

“Ici, j’ai perdu quinze kilos”, résume Michel. Le retraité a été victime d’un AVC. Hospitalisé depuis plusieurs mois, il présente des signes de dénutrition. “J’ai moins d’appétit à cause de l’accident”, justifie-t-il, installé sur son fauteuil roulant. Le manque d’apports nutritionnels pourrait retarder sa guérison. Le collectif de lutte contre la dénutrition (CLD) estime que 40% des personnes hospitalisées en France sont touchées par la dénutrition. Ce constat alarmant fait écho à une étude du Conseil de l’Europe : 20% des patient.e.s seraient dénutri.e.s à leur entrée à l’hôpital, et 60% à leur sortie**.

De quoi incriminer les établissements de santé, encore rétifs à diagnostiquer la dénutrition. “Beaucoup de personnes perdent de la masse musculaire à l’hôpital car ils manquent de protéines”, dénonce la diététicienne Ariane Grumbach. Sa consoeur Florence Foucaut a trouvé la parade : “On donne des compléments alimentaires oraux” pour pallier les carences des patient.e.s. Entre malbouffe, alcool et tabac, comment soigner à moindre coût ?

Recours à la “nourriture pirate”

La qualité des repas dépend d’abord du.de la cuisinier.e aux fourneaux. “Quand Marie cuisine, c’est bon. Elle y met du coeur. Avec Momo, c’est moins bon, il est moins intéressé”, résume Jean-Yves à Châtillon. “Je vais demander à Momo s’il connaît les épices… C’est fade ce qu’il cuisine, imbouffable”, déplore Jessica, 34 ans, habituée des hôpitaux. Les diététicien.ne.s dénoncent la “mauvaise image” de la restauration collective, qui attirent peu les cuisiniers, ou seulement ceux “qui ont envie de se poser, vers 50 ans”. “Il y a un travail de communication, propose Ariane Grumbach. Pour montrer tous les intérêts de ce travail et qu’on peut cuisiner de bonne choses.”

Les nouveaux cuisinier.e.s doivent respecter de nombreuses restrictions. Si les régimes diabétique et halal sont bien suivis, beaucoup de végétarien.ne.s se plaignent des plats proposés. “On n’a pas besoin de protéines le soir, or il y a de la viande à tous les repas ici, indique Laurence, le bras en écharpe. On nous intoxique.” Aucun repas de substitution – légumineuses, fruits à coque, tofu – n’est proposé aux végétarien.ne.s. A Châtillon, ces patient.e.s risquent la dénutrition : iels se contentent des plats sans viandes ni poisson, du riz et des tomates cuites au four par exemple. “Les chefs ne sont pas formés”, justifie la diététicienne Ariane Grumbach. Le véganisme [régime qui exclut tout produit d’origine animale, oeufs et lait compris] concerne “une part minime de la population mais qui va augmenter”. Sa consoeur Florence Foucaut, elle, “part du principe que ce régime entraîne des carences”. “L’hôpital n’est pas le lieu pour le prescrire”, tranche-t-elle, par téléphone.

Alors les patient.e.s recourent à “la nourriture pirate” pour retrouver plaisir à s’alimenter. Leurs proches leur apportent des “petites douceurs”, ou bien iels se font livrer par les fast foods du coin. “A Créteil, où j’ai accouché, c’était immangeable, alors je me faisais livrer McDo”, assume Jessica. Laurence, opérée du coude suite à une chute, “s’adapte”. “Je vais au magasin bio à côté”, confie la chocolatière, un pot de pâté végétal à la main.

L’alimentation biologique peine à passer les portes des institutions en France. En 2008, l’Etat fixe comme objectif 20% de bio dans les établissements publics en 2012, mais seuls dix hôpitaux en proposent aujourd’hui, parmi plus de 3000. “Ça marche dans les écoles, pourquoi ça ne marcherait pas dans les hôpitaux ? C’est une question de négociation”, pointe la nutritionniste Florence Foucaut.

Côté clope et alcool, l’interdiction s’avère inefficace pour freiner les addictions des patient.e.s. Une étude a montré en 2010 que la prohibition de fumer dans les lieux publics de 2007 n’a pas eu d’effets réels sur le tabagisme. Mieux former les soignant.e.s à l’accompagnement de la dépendance peut au contraire aider les accros à la cigarette. Selon une enquête du Réseau de prévention des addictions (Respadd), seuls deux établissements sur dix ont initié le mouvement. Le réseau “Hôpital sans tabac” promeut, entre autres, des consultations de tabacologie dans les établissements de santé, les encouragements à vapoter et la suppression de toute incitation, telle que la présence de cendriers devant l’entrée des hôpitaux…

Des initiatives rares et totalement absente des lieux visités pour cette enquête. La Directrice générale de la Santé (DGS) Anne-Claire Amprou prescrivait pourtant à l’automne 2017 : “Il faut rompre avec ce climat de tolérance, d’autant que les lieux de santé ont un devoir d’exemplarité.”

Marie Albert

Mars 2018

* Ces prénoms ont été modifiés
** “Alimentation et soins nutritionnels dans les hôpitaux : comment prévenir la dénutrition”, rapport du Comité d’experts sur la nutrition, la sécurité alimentaire et la protection des consommateurs pour le Conseil de l’Europe, 2003

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Marie Albert

Aventurière, journaliste et autrice féministe

2 réflexions sur « Malbouffe, alcool et tabac au menu de l’hôpital »

  1. Merci Marie Albert pour tes écrits. Je te parlerai bien de Chatillon sous confinement et du confinement sous confinement. Des 15kg pris à force de malbouffe pour compenser l’oisiveté. Ah l’oisiveté mère de tous les vices. Alcool, drogue, tabac, bouffe ….. L’oisiveté et la depression, le confinement et les interdits, la règle et la justice, la relation. Individuelle et le secret médical, la mort et le silence, la regle et l’exception, la reeducation et la gestion.
    Cela n’enlevant en rien la qualité du lieu. Mais l’internement permet peu à peu d’en saisir les faiblesses que les professionnels ont du mal à voir ou à reconnaître. C’est làque l’écoute des patients serait aidants.

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