Comment je survis aux règles, au pipi et au caca en rando 💩

Très pratique de vider ma coupe menstruelle dans la forêt © Marie Albert
Aventurière et journaliste féministe, j’ai entrepris en 2020 un tour de France à pied appelé le Survivor Tour. Dans cet article écrit pour Madmoizelle le 17 août 2023, je raconte mes galères de menstruations et ma vie sans WC ni douche alors que je bivouaque dans la montagne.

J’ai diffusé une version audio de cette histoire dans mon podcast Sologamie :

Je retire ma coupe menstruelle de mon vagin et la vide sur les feuilles mortes qui jonchent le sol de la forêt. Le sang dégouline lentement et mes doigts en sont bientôt recouverts. Je m’apprête à replacer la cup à l’intérieur quand je l’entends.

Le cri du chevreuil. J’ai appris à l’identifier l’année dernière. Cette fois, il en émet plusieurs, assez stridents. Je le vois ensuite arriver devant moi. C’est un fier chevreuil qui court et s’arrête de temps en temps pour regarder autour de lui. J’ignore pourquoi il crie autant.

À un moment, il m’aperçoit avec mes mains ensanglantées. Je reste immobile, ravie de cette rencontre, mais il s’éloigne rapidement. Je l’écoute encore crier pendant plusieurs minutes. Mes cuisses commencent à tirer. Je tiens la posture accroupie depuis trop longtemps. 

Devant moi, le paquet de papier toilette humide est presque vide. Bientôt, je devrai utiliser des feuilles d’arbres pour éponger mon sang. À moins que je trouve une épicerie demain… En attendant, je dois agir vite. D’un geste expert, je replace la coupe menstruelle dans mon vagin avec mes doigts dégoulinants.

« J’espère que ma coupe menstruelle tiendra le choc »

Une légère douleur me rappelle que je n’ai plus l’habitude de cette manipulation. Hors aventure, je ne porte pas de cup. Je privilégie les serviettes et culottes de règles lavables. Pendant mon Survivor Tour, j’utilise à la fois la cup et les culottes menstruelles car mon flux est abondant.

Après avoir utilisé la dernière lingette de papier toilette humide (un produit rare), je remets ma culotte et mon legging de nuit. J’utilise l’eau de ma gourde pour me nettoyer sommairement les mains. Je me les désinfecte avec un peu de gel hydroalcoolique. Le soleil se couche sur la forêt. Je m’apprête à dormir sous ma tente, seule au milieu des Pyrénées.

Je ne crains pas la solitude mais j’ai mal au ventre. Mes crampes de règles ne s’estomperont que demain. J’espère que ma coupe menstruelle tiendra le choc cette nuit et que je ne découvrirai pas de tâche de sang sur mon duvet au réveil.

Depuis toujours, je déteste avoir mes règles et d’autant plus quand je randonne au long cours. J’ignore à quelle date exacte elles vont commencer. Il m’est compliqué de stériliser ma coupe menstruelle entre chaque cycle. Et quasiment impossible de laver et sécher mes culottes au quotidien. Je porte chacune d’entre elles plusieurs jours d’affilée. 

Plutôt douches collectives en camping ou trempette en pleine nature ?

Alors j’ai l’impression de puer le sang séché, l’urine et les selles. En réalité, je sens surtout la sueur. Car je remets les mêmes t-shirt, legging et paire de chaussettes tous les matins. Après trois ou quatre jours de marche, je me réfugie dans un camping où je passe une journée complète pour me laver et me reposer. Je tiens ce rythme tout l’été.

Mes jours de pause au camping me permettent de nettoyer tous mes vêtements à la machine et de les faire sécher correctement. Je me trouve tellement sale que chaque douche me prend de longues minutes. Je me savonne deux fois et je me frotte durement avec mon gant de toilette. 

Dans ces douches collectives, je passe un mauvais moment car j’ai développé une phobie de l’endroit. Je les trouve souvent sales et humides. Le moisi côtoie les poils et cheveux abandonnés par mes prédécesseur·ses. Et j’y découvre régulièrement de vieux pansements laissés au sol. Le tout me donne envie de vomir. 

Une fois la douche terminée, je me sèche tant bien que mal avec ma serviette en microfibre et je sors le plus vite possible des sanitaires. Je préfère me baigner dans les torrents glacés, dans les rivières vaseuses et dans les lacs-barrages des Pyrénées. Je n’y utilise pas de savon mais je me rince brièvement. Après une longue journée de marche par 30°C, c’est un plaisir inégalé. 

De la liberté d’uriner et de déféquer dans les bois

En dehors de ma période de règles (tous les 24 jours en moyenne), je n’ai aucun mal à me passer de toilettes ou de douches. J’ai pris l’habitude d’uriner dans la forêt et j’apprécie même ces moments. En journée, j’ai parfois la flemme de m’arrêter, de retirer mon sac et de me cacher pour le faire mais je songe à emporter mon pisse-debout (instrument dédié aux personnes à vulve) lors de ma prochaine randonnée pour m’épargner cela. Je pourrai alors pisser contre un arbre, comme tous les hommes cisgenres que je croise sur le sentier ! 

Concernant le caca, j’ai également appris à déféquer dans la forêt : creuser un trou, m’accroupir, garder mon PQ usagé avec moi et refermer le trou. Tout cela à bonne distance d’un cours d’eau pour éviter de le polluer. Le problème que je rencontre est plutôt d’ordre psychologique. J’ai besoin d’être seule et détendue pour aller à la selle. 

J’ai été socialisée comme une femme polie et sage qui ne pète ni ne rote jamais en public. Je me dois d’être discrète quand je vais aux toilettes. Je refuse de déranger d’autres personnes avec le bruit ou l’odeur. Alors encore une fois, c’est en camping que je rencontre le plus de difficultés pour déféquer. Les sanitaires collectifs me privent de mon intimité. 

Je tente de lutter contre cette gêne paralysante. Cet été, j’ai rencontré un homme randonneur qui m’a déclaré qu’il adore « faire le plus de bruit possible » quand il utilise les toilettes du camping. Certains ont moins honte de leur corps que d’autres… 

Marie Albert

Aventurière, journaliste et autrice

Article publié sur Madmoizelle le 17 août 2023

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Marie Albert

Aventurière, journaliste et autrice féministe

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