Moscou m’a tuer

Photo tous droits réservés © Marie Albert

L’autre soir sur Arte, le documentaire « Poupées russes, diamants et grosses cylindrées » a failli me faire pleurer. Le réalisateur Alexander Gentelev dresse un portrait terrifiant des femmes d’oligarques dans la Russie moderne, et de leurs petites sœurs à la recherche du prince charmant à Moscou.

Le docu a le mérite de titiller la fibre féministe et de rappeler le sexisme ambiant au pays de Vladimir Poutine. Mais il a le tort d’utiliser tous les clichés propres à servir son propos, à savoir poupées russe, diamants et grosses cylindrées.

Macha est une pauvre provinciale qui vit sans eau courante ni chauffage électrique. Elle chauffe sa petite bicoque grâce à un antique poêle à bois. Elle sort puiser l’eau du puits tous les jours par -20 degrés… A vingt ans, elle décide de tenter sa chance à Moscou, la ville lumière (qui apparemment « compte plus de boîtes de nuit que n’importe quelle capitale »). Trouver l’homme de sa vie, le riche Russe qui la prendra sous son aile et l’aimera ad vitam æternam, tel est son objectif. Pour cela, elle commence par se rendre dans une agence de mannequinat (échec), alors elle prend des cours de séductions pour jeunes filles à la recherche de riches oligarques (échec), puis elle sort dans les boîtes les plus hypes de la capitale russe (échec), enfin rentre chez elle, dépitée. « Ce n’est pas un échec, juste la fin d’une étape de ma vie », tient à préciser Macha après neuf mois à Moscou et une déception amoureuse. Qu’elle prenne quelques kilos avant de retenter quoi que ce soit.

Rien à taper de Macha, des femmes russes, et de ce docu cliché. Mais voilà qu’un an plus tôt (one year ago), je me suis retrouvée à la place de Macha, je suis partie à Moscou faire ma vie et trouver l’amour, et que neuf mois plus tard (nine months later), je suis revenue en France les mains vides, la mine grise. Alors qui sont les plus soumises, les plus mièvres, les plus ambitieuses ? Les Russes ou les Françaises ?

Le 1er septembre 2014, je pensais moi aussi débarquer à Moscou et m’y ancrer définitivement. Pour une raison obscure, l’année à venir ne m’apparaissait pas comme un voyage mais comme un déménagement. Assez naïve pour croire au prince charmant, j’ai pris l’avion, le train, le métro et le bus pour me retrouver à sept heures du soir devant le dortoir soviétique qui allait m’accueillir en banlieue de Moscou pendant les neuf mois à venir. Hors de question de prendre un appartement en centre-ville hors de prix où j’aurais été tranquille, je voulais jouer le jeu, vivre « à la russe » (cad entassée dans une chambre double sans cuisine). A première vue, difficile de ramener le fameux prince à la maison en fin de soirée, puisque mon lit est plus étroit et inconfortable que tous ceux testés jusqu’alors. L’omniprésence de ma colocataire allemande (nous partageons la chambre) n’arrange pas l’affaire.

Vaille que vaille. Après m’être débarrassée avec tact de mon fiancé français, me voilà sur le marché russe ! Mais les boîtes de nuit s’avèrent impénétrables car je ne porte ni les talons ni le chéquier de rigueur. Les garçons du MGIMO (ma prestigieuse université) sont certes bien pourvus de ce côté-là (pas de talons), mais affublés d’une laideur déconcertante. Côté fric, je ne trouve pas leur compte en banque très sexy (i am a feminist). Passée l’horreur de la découverte et la déception de mes premières conquêtes (non russes), je m’acharne à améliorer mon niveau (de langue russe). Quoi de mieux que de m’y atteler en charmante compagnie ?

Mon premier prince russe est originaire du Caucase : Macha ne lui accorderait même pas un regard (russian people are racist). Il a le mérite de changer d’avis comme une girouette, de ne pas rappeler, de ne pas s’engager et de me laisser tranquille. Pas de sexe avant le mariage, très bien on reste amis.

Mon deuxième prince russe est tatar : là encore Macha tournerait les talons. Il s’avère menteur, psychopathe, harceleur. Je mets plusieurs mois à me débarrasser de lui mais comme me le rappellent avec tact mes amis de l’époque, « je l’ai bien cherché » (lol).

Mon troisième et dernier prince est un coup de foudre dans un bar moscovite avec deux grammes d’alcool dans le sang et des lumières tamisées rendant difficile l’appréciation de ses aptitudes intellectuelles. Peu importe, nous passons un charmant moment ensemble, jusqu’au moment fatidique où je rencontre ses coloc. Toute sa famille dort dans la même chambre et partage l’appartement avec une autre (famille). Le réveil est difficile mais les adieux des plus corrects.

Après ces quelques aventures, l’hiver pointe le bout de son nez. Le soleil se couche à 16 heures, les températures passent dans le négatif et les premiers flocons deviennent tempêtes de neige. Le corps s’endolorit, le mental s’obscurcit, le noir envahit tout.

Au printemps (mois de mai), ya des papillons et les tulipes sortent de terre. La neige fond à vue d’œil et mon âme se délivre du mal (dépression). J’oublie la théorie du prince charmant, j’adopte la posture Macha et me prépare à plier bagages, direction Lille (north of France). Si les voies russes sont restées impénétrables, j’ai enfin renoncé à un mythe inébranlable et pris ma vie à bras-le-corps, cad sans expectations et clichés tenaces.

Marie Albert

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Marie Albert

Aventurière, journaliste et autrice féministe

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