Mon podcast Marie Sans Filtre est diffusé sur toutes les plateformes d’écoute, ou à cette adresse : anchor.fm/mariesansfiltre
(Avertissement : violences sexistes et sexuelles)
“Je ne supporte plus les hommes. Les hommes qui m’expliquent la vie. Les hommes qui me racontent leur vie. Les hommes qui me déshabillent du regard. Les hommes qui me complimentent. Les hommes qui me suivent dans la rue. Les hommes qui me demandent mon numéro. Les hommes qui me traitent de salope. Les hommes qui me klaxonnent. Les hommes qui me tirent la langue pour imiter un cunnilingus. Les hommes qui se masturbent sous mon nez. Les hommes qui me touchent les fesses. Les hommes qui tentent de me violer. Je ne supporte plus les hommes.”
J’écris ces phrases le 28 septembre 2019 à Campiello, un village du nord de l’Espagne que je traverse à la fin de mon chemin de Compostelle. Si tu te demandes ce que je subis pendant mon pèlerinage, tu peux lire ou écouter l’épisode 7, “Je marche de Paris à Compostelle”. Si tu te demandes ce que je subis pendant ma vie, tu peux lire ou écouter cet épisode-ci, que j’enregistre le 21 avril 2020. Il s’appelle “Je déteste les hommes cisgenres” (cisgenre : qui s’identifie au genre qui lui a été attribué à la naissance).
J’ai 25 ans, je me trouve confinée chez mes parents en banlieue parisienne depuis un mois et demi, avec mon frère. Je ne sors plus, alors je ne subis plus d’agression sexuelle, d’insultes, de harcèlement de rue, d’exhibitionnisme ni de tentative de viol. Mais je vis avec deux hommes blancs cisgenres et hétérosexuels, alors je subis le mansplaining, le manspreading, la charge mentale, les tâches domestiques et le sexisme tous les jours. Je ne supporte plus les hommes cis, qu’ils fassent partie de ma famille, qu’ils me soient inconnus ou qu’ils dorment dans mon lit.
Après avoir publié “Je ne supporte plus les hommes” sur ma page Facebook, je reçois 9 likes. Ma grand-mère maternelle commente : “Ce n’est pas de leur faute. Ils ne savent pas.” Mon amie Elise commente : “Tu es forte.” Deux femmes, deux générations, deux réactions.
Après avoir publié “Je ne supporte plus les hommes” sur mon compte Instagram, ma publication est signalée et supprimée par la plateforme pour “appel à la haine”. Je reçois un avertissement, censé me décourager de réitérer des propos féministes et misandres sur mon compte. Quelques mois plus tard, Instagram supprime purement et simplement ma page, et je dois batailler pendant plusieurs semaines pour faire appel de la décision et récupérer mon compte. Aujourd’hui, je sais que je risque le bannissement a vitam eternam d’Instagram si je partage cet épisode de podcast “Je déteste les hommes cis”. Sans parler de la photo miniature qui l’accompagne, sur laquelle tu peux admirer mon sein gauche et le tatouage doigt d’honneur que m’a fait l’artiste violent passion tattoo en 2019. Si je publie cette image sur Instagram, je meurs.
Le féminisme est-il un délit ? La misandrie est-elle un délit ? Non. La haine, le mépris, l’hostilité que je ressens envers les hommes cis n’est pas punie par la loi française. Tout comme la haine des blancs, la haine des riches, toutes les réactions des personnes minorisées envers les personnes privilégiées. J’assume donc cet épisode misandre intitulé “Je déteste les hommes cis”. Parce que c’est vrai, je déteste les hommes, tous les hommes cisgenres et hétérosexuels. Je généralise, je les mets tous dans le même panier. Je suis dangereuse.
Je ne suis pas la seule personne misandre de ce pays. Je ne dénoncerai pas mes potes féministes, mais je citerai le médecin Baptiste Beaulieu (un homme blanc cisgenre non-hétérosexuel) : “J’en ai marre des mecs, mais marre, marre, marre, si vous saviez comme j’en ai marre de NOUS. De nos petites lâchetés, de nos petites trahisons, de nos petits égos de coq, toujours mal placés, de nos angles morts permanents, et de nos orgueils démesurés (…) Être une femme hétérosexuelle, c’est quand même devoir choisir parmi un cageot rempli de fruits pourris celui qui vous pèsera le moins sur l’estomac.”
Sur France Inter, le 9 mars 2020, Baptiste Beaulieu compare les hommes cis hétéro à des “fruits pourris”.
En manifestation, les féministes sont un tout petit peu plus énervées que lui. Nous multiplions les pancartes misandres, et j’ai trouvé tous ces exemples sur le compte Instagram d’un mec anti-féministe. Tu es prête ? Voici les meilleures : “Tous les mecs sont des connards”, “Cramons des mecs cis”, “Men are trash”, “Délivrez-nous du mâle, soyez lesbiennes”, “Tous les hommes sont des violeurs”, “Les hommes morts ne violent plus les femmes”, “On se lève et on broie vos prostates”, “Mort aux cis-mecs hétéro”. Ces pancartes sont très violentes. En l’occurrence, elles effraient le mec anti-féministe qui les compile sur sa page Instagram. Moi, elle me font sourire. Je soutiens les militantes qui les écrivent, qui les brandissent et qui les assument.
Mais pourquoi ? Pourquoi est-ce que je déteste les hommes cis au point de vouloir leur anéantissement ? Bonne question ! Tu as des éléments de réponse dans les épisodes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 et 11 de mon podcast Marie Sans Filtre. Incroyable : les hommes m’obsèdent car ils me violentent. L’inverse n’est pas vrai. Les femmes, même les plus “hystériques”, pour reprendre l’adjectif utilisé par le mec anti-féministe d’Instagram, ne violentent pas les hommes. Notre misandrie ne menace pas les hommes cis. Tout comme la haine des blancs et la haines des riches, qui ne menacent ni les blancs, ni les riches. Du moins pas encore…
Plus sérieusement, ma misandrie est récente et difficile à supporter. Je ressens une colère sans fond envers ceux qui m’oppriment. Tu me trouves agressive ? Eh bien j’ai le droit d’être en colère, j’ai le droit d’être agressive. Je citerai maintenant Masha Sexplique, un militante féministe qui a publié ceci sur son compte Instagram le 19 avril 2020 :
Je pourrai imiter son texte et écrire : Mon premier copain me manipule, me trompe et me jette comme une merde. J’ai 15 ans. Mon deuxième copain me traite de salope quand je lui annonce que je le quitte. J’ai 19 ans. Mon troisième copain me violente psychologiquement ET physiquement (épisode 4). J’ai 21 ans. Mon quatrième copain me fait culpabiliser quand je refuse qu’il me pénètre. J’ai 23 ans.
Je pourrais aussi écrire : La première fois qu’un homme m’agresse sexuellement, c’est sur une plage devant ma famille. Il me donne une fessée puis me tire la langue pour imiter un cunnilingus. Je ne porte pas plainte. J’ai 19 ans. La deuxième fois qu’un homme m’agresse sexuellement, c’est dans une bibliothèque parisienne. Il essaie de m’enfermer dans les toilettes pour me violer et je dois me débattre, crier et porter plainte pour m’en sortir. La plainte est classée sans suite par la justice (épisode 3). J’ai 23 ans. La troisième fois qu’un homme m’agresse sexuellement, c’est dans une rue de Santander, en Espagne. Il se masturbe devant moi au petit matin, le sexe à l’air, alors que je sors de mon refuge pour reprendre le chemin de Compostelle. J’appelle la police : les policiers arrivent et me disent qu’ils ne peuvent rien faire. J’ai 25 ans.
J’oublie volontairement ou involontairement environ dix mille autres hommes, inconnus, connus, amis, petits amis, collègues qui m’ont également rabaissée, manipulée, harcelée ou agressée. Je ne peux pas les citer tous, et j’espère qu’ils ne m’en voudront pas de les occulter aujourd’hui. Je ne me rappelle que des grands événements. Heureusement que j’oublie, ou plutôt que je classe le reste dans mon cerveau, sinon ma vie serait impossible. Elle l’est déjà.
Alors j’ai le droit de dire “Men are trash”, ou “Je déteste les hommes cis”. Si ma misandrie te dérange, fais en sorte que les hommes cisgenres arrêtent de maltraiter, violenter et assassiner les femmes. A ce moment là, je réfléchirai à les réintégrer dans mon estime et dans ma vie. Pour l’instant, je les critique, je les évite, et je refuse de coucher avec.
Tu viens de lire ou d’écouter l’épisode 12 de mon podcast Marie Sans Filtre. J’espère qu’il t’a plu. Bisous.
Marie Albert
3 mai 2020
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