J’arrête de parler à ma mère (ou pas)

Photo tous droits réservés © Marie Albert

Mon podcast Marie Sans Filtre est diffusé sur toutes les plateformes d’écoute, ou à cette adresse : anchor.fm/mariesansfiltre

Avertissement : ce texte évoque des violences intrafamiliales

Aujourd’hui, je vous raconte les violences intrafamiliales que je subis depuis ma naissance. Mes parents sont violent·es et j’essaie de m’en éloigner mais ce n’est pas facile. Je sais que je ne suis pas seule alors je publie ce texte malgré la peur que mes parents se vengent. Non, nous n’avons pas à supporter leurs violences, même si iels nous ont “élevé·es”. Cet épisode s’appelle “J’arrête de parler à ma mère” parce que c’est ce que je devrais faire… Arrêter de parler à ma mère, et à mon père aussi d’ailleurs. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire.

D’abord, je vous explique le problème avec ma mère : elle utilise la violence psychologique en permanence, depuis que je la connais (ma naissance, quoi). Elle m’a déjà frappée (quelques gifles) et insultée (“connasse” ou “salope”, je ne me souviens plus exactement, au printemps 2022 par exemple) mais c’est plutôt rare. Non, ce qu’elle préfère, c’est me critiquer et de me dévaloriser. Elle remet en question tous mes choix de vie. Quoique je fasse, cela ne lui plaît jamais. Elle ne m’encourage ou ne me soutient jamais. Elle me pose toujours les mêmes questions : “Tu ne veux aucun homme dans ta vie ?”, “Tu ne veux toujours pas de CDI ?”, “Tu ne veux pas être en couple ?” à chaque fois que je la vois. Elle est absolument sourde à l’autodéfense verbale (cf. la technique des trois phrases que j’ai déjà expliquée dans un précédent épisode de mon podcast Marie Sans Filtre intitulé “Je pratique l’autodéfense féministe”), cela ne fonctionne pas avec elle. Elle ne me présente jamais d’excuses. Elle ne se sent jamais coupable. Elle ne se remet jamais en question. Elle inverse en permanence la culpabilité.

C’est ainsi que j’en viens à sa stratégie bien rodée, à savoir “la stratégie de l’agresseur”, ou plutôt de l’agresseuse dans son cas. J’ai pris connaissance de cette stratégie pendant une formation au sujet des violences sexuelles avec le Collectif féministe contre le viol (CFCV), l’année dernière. Je n’ai pensé à aucun des hommes agresseurs de ma vie en la découvrant, juste à ma mère…

  1. Isoler la victime : ça, elle ne le fait pas (merci).
  1. Dévaloriser la victime : ce que fait ma mère toute la journée avec moi.
  1. Inverser la culpabilité : sa grande spécialité.
  1. Terroriser la victime : elle me menace dès que j’emploie le mot “violence” pour parler de son comportement.

J’ai d’ailleurs peur de publier ce texte, parce que bien que je ne donne pas le nom de ma mère, j’ai peur qu’elle le lise et qu’elle me démonte ensuite. Elle me fait très peur.

  1. Assurer son impunité : elle me fait passer pour folle quand elle m’entend parler de “violence”. Elle minimise ses actes, elle me dit que c’est pareil dans toutes les familles, que c’est dans ma tête, etc.

Mais ce n’est pas tout. Ma mère utilise également une autre arme contre moi, à savoir le contrôle coercitif : tant que je respecte ses règles et que je lui obéis, j’évite certaines violences de la part de ma mère. Elle reste relativement calme. Mais si je transgresse une règle ou ne lui obéis plus (je refuse d’accomplir une tâche domestique ou de répondre à un de ces mails, par exemple), elle se venge. Elle me menace, elle me fait la gueule, elle me coupe les vivres, etc. 

En fait, c’est du dressage et de l’infantilisation.

Le problème, c’est que notre société encourage les parents à faire cela avec “leurs” enfants. Ma mère trouve cela normal car elle a été éduquée de cette façon, comme la plupart des gens. Les parents pensent que les enfants leur appartiennent et qu’iels leur doivent obéissance. Un·e parent se sent légitime à critiquer, humilier, crier, insulter voire frapper l’enfant si iel n’a pas respecté ses consignes à la lettre. Ces violences habituelles sont également appelées “violences éducatives ordinaires” (VEO), et plusieurs collectifs et associations, notamment StopVEO.org en France, luttent pour faire changer les mentalités et les pratiques.

L’oppression des enfants s’appelle l’adultisme. C’est une violence fondée sur l’âge, qu’on peut également nommer “âgisme”. En tant que féministe, je lutte contre l’adultisme, notamment à travers ma page “Infanticides en France”. Bénévolement, je compte depuis trois ans les infanticides (meurtres d’enfants en raison de leur âge) commis par des adultes sur le territoire français, sur le même modèle que les collectifs qui recensent les féminicides (meurtres de femmes en raison de leur genre). Mon décompte s’élève à 65 enfants tué·es par des adultes pour l’année 2022. Vous pouvez suivre mon décompte sur Facebook, Instagram, Twitter et TikTok. À l’heure où j’enregistre cet épisode de Marie Sans Filtre, le 10 mars 2023, je compte déjà 10 infanticides commis depuis le début de l’année 2023 en France. Ces meurtres sont encore moins médiatisés et politisés que les féminicides.

Mon décompte des infanticides en France en 2022

Maintenant, je vous explique le problème avec mon père : il est violent verbalement et physiquement, mais pas vraiment psychologiquement. Il a déjà frappé ma mère et mon frère (quand mon frère était mineur). Il y a quelques années, ma mère a déposé une main courante contre mon père parce qu’il lui avait donné un coup de tête. Par ailleurs, mon père conduit mal et met régulièrement sa vie et celles des autres personnes dans la voiture en danger. Il a déjà eu de nombreux accidents et a failli mourir au volant plus d’une fois. En général, il refuse de laisser les autres conduire. Les rares fois où il accepte, il passe tout le trajet à critiquer et donner des ordres à la personne qui conduit à sa place.

Quand il est au volant, il s’énerve très vite si on critique sa conduite (qui est dangereuse, je le rappelle) et peut quitter la voiture en trombe et disparaître pendant plusieurs dizaines de minutes s’il est vexé. Je ne supporte plus d’être dans un véhicule avec lui, depuis plusieurs années.

En vieillissant, mon père devient de droite, un peu facho, vraiment raciste et misogyne. Il ne supporte pas que je le contredise. Il m’insulte si je le fais. Il s’énerve très vite et refuse le dialogue. Il ne se remet jamais en question non plus. Il ne fait pratiquement aucune tâche domestique à la maison. Il “ramène l’argent” et ça lui suffit.

Enfin, je vous explique le problème avec le couple de mes parents : leurs violences respectives et leur haine réciproque entraînent des violences conjugales quotidiennes. Depuis que je suis née, je les ai toujours vu·es s’engueuler, s’insulter voire en de très rares et traumatisantes occasions se taper dessus. Iels ne peuvent communiquer sans s’énerver. Iels ne sont presque jamais d’accord l’un·e avec l’autre. Iels se détestent et pourtant refusent de divorcer. Iels sont incompatibles et en même temps inséparables. Leur relation est toxique et dysfonctionnelle depuis le début. Iels n’ont aucune maturité émotionnelle et règlent tous leurs conflits par la violence. 

Forcément, les voir s’insulter tous les jours est extrêmement traumatisant pour des enfants. Ma sœur, mon frère et moi avons supporté ce triste spectacle depuis notre naissance. Nous devons toujours faire les médiateur·ices, les calmer voire les séparer. Je suis traumatisée par leurs disputes qui m’ont toujours rendu très triste. Je les encourage maintenant à divorcer mais iels ne veulent pas. 

La solution pour échapper à leurs violences serait de couper les ponts, ne plus leur parler, les bloquer sur les réseaux sociaux, ne pas revenir dans leur maison, éviter les fêtes de famille, ne plus accepter leur argent ou cadeaux (mes parents sont blindé·es de tune), etc.

J’ai déjà essayé cela plusieurs fois. J’ai bloqué mes parents sur Facebook et Instagram. Iels ne peuvent ni lire ni voir mes publications et stories. Ma mère ne peut plus me harceler sur Messenger. À plusieurs reprises, j’ai également coupé les ponts avec ma mère. Je ne lui parlais plus du tout, ni par SMS ni par téléphone. Par exemple, j’ai cessé d’interagir avec elle quand je suis partie faire le tour du globe en cargo, en 2019. Un voyage de quatre mois qui a inspiré mon livre La Puissance, sorti récemment. Pendant ce périple en mer, je n’ai parlé qu’à mon père, mon frère et ma sœur. J’avais bloqué son numéro sur mon téléphone portable donc elle ne pouvait même pas m’appeler. C’était très reposant. Mais quand je suis rentrée en France, elle m’a fait du chantage pour que je la débloque et j’ai fini par céder. J’ai recommencé à lui parler. De temps en temps, je la rebloque, quand elle dépasse les bornes et me harcèle de messages négatifs par exemple. Mais cela ne dure que quelques semaines ou mois, à chaque fois.

Le problème, c’est que je dépends complètement de mes parents financièrement parlant. Je ne gagne pas ma vie en publiant des épisodes de podcast gratuitement, en écrivant des enquêtes payées trois francs six sous pour des magazines ou en autoéditant mon livre La Puissance vendu pour l’instant à 86 exemplaires. Je touche le RSA (entre 200€ et 400€ par mois, ça dépend) et puis aussi quelques centaines d’euros pour mon travail (cagnotte, piges, autoédition, droits d’autrice) chaque mois. Mais je ne peux me permettre de louer un appart et d’habiter à Cherbourg, loin de mes parents (avec qui j’ai cohabité·es un an entre 2021 et 2022, un enfer) que si iels me donnent plusieurs centaines d’euros chaque mois, en billets ou par virement. Si demain iels me coupent les vivres, j’arrête toutes mes activités d’aventurière, journaliste et autrice féministe pour trouver un emploi “normal”, comme “tout le monde”. Je n’aurai plus le choix. C’est pourquoi je ne coupe pas les ponts avec mes parents. Iels me permettent de vivre ma meilleure vie actuelle (faire ce que je veux de mon travail et de mes journées). 

Mais ce n’est pas la seule raison. Je les aime encore, je suis attachée à la maison familiale et j’y retrouve souvent mon frère, ma sœur et la chatte Miou. Je ne veux pas renoncer à ces réunions familiales, pour le moment.

Voilà, je clos cet épisode avec ces solutions (arrêter de parler à mes parents) que je n’applique pas car je me sens encore trop attachée à ma famille. Je sais que je ne suis pas seule à souffrir de cette contradiction. Merci beaucoup pour votre lecture.

Marie Albert

14 mars 2023

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Marie Albert

Aventurière, journaliste et autrice féministe

Un commentaire sur “J’arrête de parler à ma mère (ou pas)

  1. Coucou,

    Je viens de finir l’épisode et je te remercie pour ton témoignage.
    Je vais être brève, je pense que tu as déjà trouvé la seule solution possible mais que tu n’as pas encore le courage de l’appliquer. Tu ne pourras pas te placer dans ta relation avec tes parents tant que tu sera pas indépendante financièrement. Ils commenceront à changer vis à vis de toi quand tu rompras ce lien. Alors bien sûr ils ne respecteront pas plus tes choix idéologiques mais ça glissera sur toi et il le percevront, ils seront moins dans l’agression.
    Bien qu’ils aient l’air un peu spéciaux, le fait qu’ils te traitent comme un enfant c’est aussi parce que tu veux bien profiter de ce confort.

    Je te souhaite bon courage, Lilou.

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