Je regrette d’avoir porté plainte

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Avertissement : ce texte évoque des violences sexistes et sexuelles

Je regrette d’avoir porté plainte. J’ai subi deux viols, plusieurs agressions sexuelles et d’autres violences sexistes dans ma courte vie. J’ai porté plainte six fois contre six hommes différents.

Plusieurs années après, je fais le constat que 1/ ça n’a servi à rien (les agresseurs agressent toujours) 2/ ça m’a fait plus de mal que de bien (la police et la justice françaises maltraitent les victimes). Je vous confie mon point de vue dans cet épisode.

D’abord, pourquoi ai-je porté plainte pour certains faits et pas pour d’autres ? En 2013, je subis une première agression sexuelle, sur une plage. Mais il faut attendre 2018 pour que je porte plainte pour la première fois, contre un autre homme qui a tenté de me violer dans les toilettes d’une bibliothèque parisienne. Je le fais parce que les bibliothécaires appellent la police quand iels m’entendent crier. Les policièr·es arrivent et m’incitent à porter plainte. Alors, je le fais.

Trois ans plus tard, en 2021, j’ai un déclic en regardant la série I may destroy you. Je décide de porter plainte contre quatre hommes en février (pour des violences anciennes), puis un autre en août. Au total, j’ai porté plainte six fois. Les six hommes contre qui j’ai porté plainte ont fait, font et feront d’autres victimes, je le sais. Ils sont dangereux. Mes motivations sont : 1/ les empêcher de violenter d’autres personnes 2/ laisser une trace de mon passage et de leurs violences auprès de la police et la justice françaises. D’ailleurs, je relève l’un des seuls bénéfices de mes dépôts de plainte à ce jour : j’ai trouvé d’autres victimes de Yassine El Azzaz, un homme qui m’a violée en 2017 (retrait du préservatif sans mon consentement : stealthing), dont une femme qui a porté plainte pour viol également. Nous sommes des “sœurs de plainte”, des “co-victimes” et c’est très fort car je me sens moins seule. On se sent plus fortes. 

La dernière fois que j’ai porté plainte, c’était en août 2021 pour me débarrasser d’un harceleur sur mon Survivor Tour, mon tour de France à pied contre les violences sexistes. J’ai raconté cette expérience dans l’épisode 36 de Marie Sans Filtre, intitulé “Je survis au harcèlement de mon ex”. Ma plainte a bien calmé le gars. J’ai pu poursuivre mon Survivor Tour sans lui.

Comment se sont déroulés les dépôts de plainte ? Mal. À ce sujet, vous pouvez écouter l’épisode 29 “Il me viole : je ne porte pas plainte” de mon podcast Marie Sans Filtre dans lequel je raconte mon dépôt de plainte en février 2021 au commissariat d’Alençon, contre quatre hommes différents pour des violences subies entre 2015 et 2019.

Depuis mes dépôts de plainte, c’est le néant. En 2018, j’ai dû me rendre personnellement au tribunal de Paris pour apprendre que ma première plainte avait été classée sans suite, alors que je n’avais reçu aucun courrier à ce sujet. Depuis 2021 et les autres dépôts de plainte, j’ai eu peu de nouvelles des enquêtes en cours. Certains policiers m’ont appelée pour me poser des questions et trouver d’autres victimes. J’ai fait plusieurs expertises psychiatriques et c’est un nouveau traumatisme. J’ai fait une demande d’indemnisation auprès de la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) de Versailles. Qu’est-ce que ça va donner ? Je l’ignore encore. L’argent, c’est un enjeu important du dépôt de plainte. Car on peut à la fois perdre et gagner de l’argent quand on recourt à la justice française.

Et le pompon, c’est que j’ai vécu une confrontation face à l’homme qui m’a harcelée sexuellement au travail, à l’Agence France-Presse, en 2018. J’ai quand même fait une dépression et perdu mon travail à cause de lui. C’est aussi une expérience que je raconte dans mon podcast, dans l’épisode 15 “Mon collègue me harcèle : je me défends”. La confrontation s’est bien et mal passée à la fois. A posteriori, j’aurais dû prendre un·e avocat·e avec moi. Je me suis sentie très mal à côté de lui. Depuis la confrontation, je n’ai aucune nouvelle de l’enquête. Le policier m’a juste dit qu’il avait rendu son rapport au parquet et que lea procureur·e avait décidé de “poursuivre”, mais je ne sais pas ce que ça veut dire. Je suis terrorisée à l’idée qu’il y ait un procès. Je ne veux pas aller dans un tribunal et revoir un agresseur. Je ne veux pas que des inconnu·es jugent les faits devant moi.

Concernant la plainte pour viol contre Yassine El Azzaz, ma co-victime et moi avons reçu un avis de classement sans suite en février 2022 avec des arguments fallacieux. J’ai demandé dans la foulée une copie du dossier pénal, qui comprend toute l’enquête de police et j’ai relevé de grandes contradictions dedans. J’ai porté plainte avec constitution de partie civile ensuite, pour relancer l’enquête avec la nomination d’un·e juge d’instruction. Je suis devenue experte (presque) en droit, vous entendez. Mais Yassine El Azzaz a déménagé au Maroc, donc difficile de prévoir la suite.

Parallèlement à tous ces événements, j’ai demandé l’aide juridictionnelle pour avoir un·e avocat·e directement rémunéré·e par l’État et ça m’a demandé beaucoup d’énergie également parce que tout se fait par courrier et prend des mois. J’ai dû envoyer 1000 justificatifs. Finalement, j’ai obtenu l’aide juridictionnelle totale pour une seule des affaires, celle qui concerne le viol de Yassine El Azzaz. J’ai donc une avocate féministe, que j’ai pu choisir et qui a accepté de m’accompagner. Mais je devrai redemander l’aide juridictionnelle pour les autres affaires si je souhaite avoir un·e avocat·e pour ces cas-là. C’est une galère sans fin.

Franchement, avoir affaire à la police et à la justice françaises est l’épreuve la plus difficile que j’ai jamais affrontée au niveau administratif. Je n’ai pas de phobie administrative, au contraire, je suis très organisée et je réponds à tous les courriers mais cela prend un temps infini et n’aboutit jamais. Je n’ai rien obtenu comme résultat tangible en cinq ans de temps (sauf l’aide juridictionnelle pour une seule des affaires). Et puis j’ai changé d’adresse. Comme je n’ai aucune coordonnées des personnes en charge de l’enquête (police ou justice), je ne peux pas les prévenir du changement d’adresse. J’ai rencontré une juriste au Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) de la Manche dernièrement et elle m’a aidée à avoir des nouvelles de mes plaintes, mais ensuite ça s’est mal passé. Elle n’avait aucune empathie.

Bref, j’attendais peu de la police et la justice françaises mais je suis quand même déçue. Je ne suis pas sûre que laisser ma trace dans leurs fichiers soit utile. La plupart des victimes ne portent pas plainte. Et même, mes dépôts de plainte n’empêchent pas les agresseurs d’agresser à nouveau. J’ai réfléchi et je sais ce que j’attends d’eux : 1/ qu’ils reconnaissent les violences, 2/ qu’ils me présentent leurs excuses 3/ qu’ils s’engagent à changer de comportement et qu’ils le fassent vraiment. Qu’ils ne soient plus violents. Je ne souhaite pas qu’ils soient placés en garde à vue, auditionnés, jugés, sanctionnés ou mis en prison. J’ai des convictions anticarcérales. Mais, me direz-vous, pourquoi portes-tu plainte dans ce cas ? J’attends de la police et de la justice françaises une justice restaurative et transformative qu’elles ne proposent jamais, puisqu’elles se centrent sur la justice répressive (qui est inefficace pour arrêter les violeurs, spoiler). J’ai porté plainte parce que je ne connais aucune alternative satisfaisante, en France. Concrètement, je fais quoi quand je subis des violences, que je veux les arrêter et empêcher l’agresseur de faire d’autres victimes ? Je peux me défendre (autodéfense féministe) et fuir (une technique d’autodéfense en soi) mais je ne l’empêcherai pas de faire d’autres victimes. Il existe des sites internet pour partager des noms d’agresseurs de façon confidentielle, pour rencontrer d’autres victimes de la même personne et j’ai ajouté les noms de “mes” agresseurs dessus, mais je n’ai jamais eu de retour ou trouvé d’autres victimes par ce biais. J’ai l’impression que ces sites ne sont pas connus. Il y a coabuse.fr pour la France par exemple, et dissonnom.ca pour le Canada. Vous connaissez ?

Les hommes qui m’ont agressée n’ont jamais reconnu les violences, ne m’ont jamais présenté d’excuses et n’ont jamais changé de comportement. Aux dernières nouvelles, ils ont disparu ou ils m’ont bloquée sur tous les réseaux sociaux ou ils se présentent comme des victimes. Le résultat de mes dépôts de plainte est donc négatif.

Je regrette d’avoir porté plainte. Ces démarches m’ont stressée, mise en colère et déprimée. J’ai dépensé de l’argent (timbres, courriers recommandés, suivi psychologique), j’ai passé des dizaines/centaines d’heures à m’en occuper. J’en ai encore pour des années si je veux en voir le bout. Je pourrais abandonner ces plaintes, ne plus m’en occuper mais j’en suis incapable. Je vais toujours au bout des choses. Je suis persévérante. Dans ce cas, c’est une erreur. Ces plaintes me bouffent. 

La prochaine fois que je subis des violences sexuelles, je pratiquerai l’autodéfense féministe (à ce sujet, vous pouvez lire ou écouter l’épisode 32 “Je pratique l’autodéfense féministe”), je me barrerai mais je ne porterai pas plainte (enfin j’espère). Je citerai le nom des agresseurs le plus souvent possible parce que je n’ai pas peur.

Marie Albert

14 février 2023

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Marie Albert

Aventurière, journaliste et autrice féministe

Un commentaire sur “Je regrette d’avoir porté plainte

  1. Bonjour.
    Je comprends ta colère.
    Ce qui me gêne dans le fait que tu cites les personnes c est qu il y a possibilité d’homonyme.
    J espère que des personnes qui portent le même nom ne seront pas inquiétés.
    Bien cordialement

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