Corinne Lemaire, les Muchaux jusqu’au bout

Photo tous droits réservés © Marie Albert

Déjà vingt ans que Corinne Lemaire a pris la tête de l’exploitation familiale, chemin des Muchaux à Lambersart. Tandis que le projet de nouveau quartier prend forme, l’agricultrice résiste aux pressions sans attendre de dénouement heureux. Retour sur le parcours d’une femme qui « ne regrette rien ».

Depuis qu’on parle du quartier des Muchaux, l’agricultrice a vu défiler des promoteurs immobiliers et enquêteurs publics. « Si j’étais toute seule, je ne leur répondrais même pas. » Mais Corinne Lemaire n’est pas propriétaire de son exploitation de 17 hectares. Elle loue « à la famille et à d’autres ».

Depuis la mort de sa grand-mère Lucie en janvier, son père ainsi que quatre oncles, tantes et cousins ont hérité de la propriété et des cinq hectares attenants. Et pendant que ceux-ci s’opposent sur le destin de la ferme, que la ville veut racheter pour l’intégrer au futur quartier, elle travaille. Sept jours sur sept, « vingt-quatre heures sur vingt-quatre ». S’occupe des trente bovins que compte la ferme, et de tous les autres animaux : chevaux, poules, oies, chats, chien. Elle laboure, rentre les betteraves, trie les pommes, moissonne, selon la saison. Elle fait le ménage, gère les démarches administratives, activité qu’elle « déteste ». Le tout pour un petit salaire, « 1 000 euros par mois au mieux ». Son père, Jean, l’aide à la mécanique. Sa mère lui prépare les repas. Elle vit avec eux.

L’agriculture : « un héritage, un bien familial »

Corinne Lemaire n’a pas toujours rêvé d’agriculture. Née en 1973, elle grandit dans la ferme familiale, « construite en 1600 » chemin des Muchaux. Ses grands-parents sont exploitants. Sa mère, femme au foyer. Son père… policier. C’est avec la même envie qu’elle se lance dans des études de droit à Lille après le bac, afin de « passer les concours de la fonction publique et de devenir inspectrice en criminologie ». En 1995, elle arrête tout. Sa grand-mère prend sa retraite, et elle passe le flambeau à la petite-fille, 22 ans : « J’ai posé la plume et pris la fourche ». Un changement de cap « naturel » pour l’étudiante, qui voit l’agriculture comme « un héritage, un bien familial transmis de génération en génération ».

Corinne Lemaire commence ses journées à 6 heures du matin, et travaille jusqu’à 21 heures.
Photo tous droits réservés © Marie Albert

« J’ai toujours baigné dedans. Je secondais mes grands-parents pendant les moissons, les campagnes de pommes de terre ou de betteraves. » Corinne Lemaire est passionnée par la terre, mais aussi par les chevaux : « J’ai eu ma première jument à douze ans. » Aujourd’hui, c’est Kimberley, 18 ans, qui occupe le box principal. « Elle est un peu nerveuse, elle a toujours été gâtée », explique l’agricultrice, tout en essayant d’appliquer de la crème cicatrisante à sa jument blessée, qui se débat. Plusieurs autres chevaux sont en pension chez elle, certains depuis des années : « Les propriétaires ne me paient plus », glisse Corinne Lemaire.

« Je ne regrette rien »

À 43 ans, l’exploitante agricole « ne regrette rien, juste le dénouement ». Un dénouement dont on parle depuis vingt ans : le futur quartier des Muchaux, qui devrait remplacer les terres et fermes par « un golf, des logements et une zone d’activités économiques » (voir ci-contre). « Je n’ai pas à me plaindre, relativise Corinne Lemaire. Comme disait grand-mère, y’a pire que nous. Je regrette juste ce qu’il va se passer : que la ferme soit vendue, qu’elle échappe à la famille. » Elle ne se voit nulle part ailleurs.

« Je n’ai pas mon mot à dire, je ne suis pas encore héritière. » Corinne Lemaire est réaliste. Elle ne peut s’opposer à la vente de la ferme familiale si les propriétaires en décident. Bien qu’elle l’exploite depuis vingt ans.

Sur ce point, son père et le reste de la famille n’ont pas encore trouvé de position commune : certains veulent vendre au promoteur Loger Habitat, mais à quel prix ? Les négociations sont en cours. L’agricultrice « apporte [s]on soutien » aux opposants au projet du futur quartier des Muchaux. Elle a participé à la dernière manifestation des exploitants agricoles le 13 juillet. « C’est malheureux de construire sur de bonnes terres agricoles, regrette Corinne Lemaire. On prêche les circuits courts mais on fait disparaître le dernier espace agricole de Lambersart. »

Vendredi se terminait l’enquête publique sur le projet. Avant de clore le chapitre, elle est allée voir l’enquêteur à la mairie, afin de « rétablir la vérité : non, on ne m’a pas proposé d’autres terres ailleurs ».

Marie Albert

16 juillet 2016 – La Voix du Nord

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Marie Albert

Aventurière, journaliste et autrice féministe

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