La simple stimulation du clitoris apaiserait les crampes menstruelles et faciliterait l’accouchement. Souffrant de douleurs chroniques, j’ai rencontré une pionnière du sujet au CHU de Rouen et me suis essayée à sa méthode.
Je me roule dans la couette. J’ouvre le premier tiroir de ma commode. J’en tire un sac en tissu noir. J’hésite : plutôt gode vibromasseur ou stimulateur clitoridien ? Je me décide rapidement pour le second. Je positionne son embout en silicone sur le capuchon de mon clitoris. J’allume le sextoy et ressens aussitôt la stimulation par “air pulsé”, qui aspire légèrement mon organe. Je repense à la dernière vidéo pornographique que j’ai regardée. J’atteins l’orgasme en quelques secondes. J’éteins mon appareil. Je m’étire sur le lit et me demande quels vêtements porter aujourd’hui. Une culotte ? Elle me fait mal. Un pantalon ? Il me fait mal. Une robe ? Ok. Je souffre de vestibulodynie depuis quatre ans. Une douleur chronique de la vulve, également appelée vulvodynie ou vestibulite. Elle touche généralement le vestibule, une zone minuscule située près du vagin. Chez moi, la douleur s’étend progressivement à d’autres endroits de ma vulve. Aux origines de ma pathologie : des infections urinaires à répétition, soignées par des antibiotiques dont l’action a entraîné des mycoses récidivantes. Un cercle vicieux dont je ne me sors qu’en interrompant la pénétration des pénis dans mon vagin. Mais trop tard : les infections ont traumatisé ma vulve, et tout contact volontaire ou accidentel envoie un message de douleur à mon cerveau, via les neurotransmetteurs. Aujourd’hui, je souffre de douleur chronique. Je ne supporte plus aucun rapport sexuel, plus aucun vêtement moulant (culottes, jeans), plus aucun vélo… Journaliste et aventurière, je ne porte que des leggings qui m’irritent légèrement. Je randonne énormément. Je sais que la vestibulodynie touche une femme cisgenre [1] sur six à un moment de sa vie [2]. Les traitements médicaux proposés sont nombreux, mais mal connus et inaccessibles en dehors des grandes villes. Les douleurs génitales sont taboues, et je vis l’errance médicale depuis quatre ans. J’ai déjà expérimenté : séance de sexothérapie, psychothérapie, kinésithérapie périnéale, traitements par corticoïdes, antidépresseurs, crèmes anesthésiantes, massages vulvaires. Certaines personnes optent même pour l’opération chirurgicale, appelée vestibulectomie : on retire simplement la peau du vestibule. Le résultat est aléatoire car les cicatrices peuvent créer d’autres douleurs.
Je n’abandonne pas la lutte. Je veux trouver un traitement. Ma sexologue parisienne me parle d’une consoeur normande qui étudie “le pouvoir anesthésique de l’orgasme”. Je déménage bientôt en Normandie et j’écris à la sexologue en question : Manon Bestaux. Elle me corrige : “C’est un peu raccourci” de parler d’orgasme et d’anesthésie. Elle travaille en réalité sur “la fonction analgésique du clitoris”. Sa simple stimulation pourrait faire “antidouleur”, comme un paracétamol, et soulager les douleurs utérines, en cas de règles douloureuses, d’IVG ou d’accouchement par exemple. Manon Bestaux travaille au CHU de Rouen et mène une étude inédite sur la fonction analgésique potentielle du clitoris : “Je suis la première à faire cette recherche, en France et dans le monde”, me certifie-t-elle. Elle doit trouver 32 personnes enceintes, et les inviter à utiliser un sextoy, appelé ici “objet vibrant de détente”, au moins deux fois pendant la grossesse et l’accouchement, pour soulager leurs contractions utérines. Il ne s’agit que d’une “étude de faisabilité” : peut-on convaincre les volontaires d’utiliser cet objet dans un contexte d’enfantement, sans gêne ? Manon Bestaux cherche la réponse.
Je m’interroge. Son travail peut-il s’appliquer à ma vestibulodynie ? Puis-je soulager mes douleurs chroniques en me masturbant ? Mes orgasmes ne m’ont jamais guérie. Je propose à Manon Bestaux de nous rencontrer, et elle me reçoit dans sa maison, en banlieue de Rouen, un matin ensoleillé de mars. Je connais déjà le pouvoir antidouleur de la masturbation sur les crampes menstruelles, pendant mes règles, ou sur les douleurs d’endométriose, pour d’autres personnes. Mais pendant l’accouchement ? J’ai entendu parler de naissance orgasmique, c’est vrai… “L’orgasme ne soulage pas forcément la douleur”, m’interrompt la sexologue. Elle ne s’intéresse qu’à la phase de stimulation du clitoris, “qui libère des endorphines” et provoque la détente. Les personnes enceintes peuvent utiliser un “objet vibrant de détente” pendant les contractions, et elles en tirent un bénéfice. Manon Bestaux a déjà suivi sept femmes pour sa recherche. “J’ai du mal à en trouver car personne n’a encore le réflexe de leur proposer de participer”, regrette-t-elle. Le sujet est tabou, dans le milieu médical. Les laboratoires pharmaceutiques ne financent aucune étude. Le clitoris les effraie-t-il ? Sa stimulation gratuite pourrait remplacer des traitements médicamenteux… Manon Bestaux milite pour la création d’outils dédiés, différents des sextoys, afin de décorréler la stimulation à visée analgésique de la sexualité. “Pour quelqu’un qui investira, il y a moyen de se faire de l’argent”, assure la sexologue.
Concernant ma vestibulodynie, elle me conseille de “jouer avec mon vibromasseur, positionné juste au-dessus du capuchon du clitoris”, pour évaluer son effet sur mes douleurs, sans orgasme. Je dois ré-habituer mon corps au plaisir, au confort, à la détente. Manon Bestaux insiste : “Il faut bander. Les endorphines sont libérées quand le clitoris bande, en phase d’excitation. L’orgasme n’est qu’un réflexe.” Je repense à l’affirmation féministe suivante : “Le clitoris est le seul organe du corps humain dédié uniquement au plaisir sexuel”. C’est faux : il a aussi une fonction antidouleur. Manon Bestaux et moi poursuivons notre discussion dans son jardin et elle me montre les “objets vibrants de détente” avec lesquels elle travaille. Un simple vibromasseur, de couleur violette, et un “doigt vibrant de détente”, qu’elle enfile comme une bague. Il permet de masser longuement le clitoris, sans se fatiguer la main. La sexologue ne peut me donner les premières conclusions de son étude sur les sept femmes enceintes, au CHU de Rouen : “C’est confidentiel tant qu’elle n’est pas terminée.” Mais elle a déjà conseillé sa méthode à d’autres patientes. L’une d’elle “a trouvé ça génial”, me glisse Manon Bestaux. “Pendant son accouchement sans péridurale, elle a ressenti moins de douleurs grâce à la vibration. Dès qu’elle avait une contraction, elle utilisait le sextoy et ça lâchait.” Je veux bien le croire, mais je doute de son efficacité sur ma vestibulodynie. Je prends néanmoins note de ses recommandations et retourne en voiture chez moi, à Alençon.
Une fois sous la couette, je privilégie mon gode vibromasseur, pour éviter l’orgasme immédiat provoqué par le stimulateur clitoridien. Je le positionne sur le capuchon de mon clitoris, je l’allume et je me détends. Je ne pense à rien, j’attends dix minutes et je prends garde à ne pas jouir. Matin et soir, je renouvelle la méthode, espérant que mes douleurs diminuent en journée. Comme pour chaque nouveau traitement, je débute pleine d’espoir. Je tiens le rythme trois, quatre jours. Pendant la stimulation, je ne ressens aucune douleur : c’est positif. Mais je ne porte aucun vêtement alors cela m’étonne peu. Pendant la journée en revanche, je souffre toujours de la vulve. Ma vestibulodynie ne recule pas. Elle s’accroche et je me lasse des tentatives répétées pour l’éloigner. J’en conclus que la stimulation du clitoris a un effet analgésique immédiat, qui ne dure pas. Je devrais utiliser mon vibromasseur 24/24 heures pour voir mes douleurs disparaître. C’est impossible. Je remercie Manon Bestaux de m’avoir initiée au pouvoir antidouleur du clitoris. Son étude devrait faire des émules, et c’est déjà le cas, puisqu’elle travaille avec des étudiantes en médecine et sages-femmes qui préparent thèses et mémoires sur le sujet. La recherche scientifique, historiquement dirigée par des hommes, démarre à peine. “Dans d’autres cultures, je suis convaincue que la fonction analgésique du clitoris est utilisée depuis des millénaires”, affirme Manon Bestaux. J’attends que les scientifiques s’intéressent à nos corps, à ma vestibulodynie. Je ne désespère pas de guérir un jour. Je patienterai.
Texte : Marie Albert
Illustrations : Cloé Bourguignon
15 mai 2021 – We Demain
[1] Cisgenre : qui s’identifie au genre qui lui a été attribué à la naissance
[2] Source : http://www.lesclesdevenus.org/dyspareunies/vulvodynies-et-vestibulodynies/cest-quoi/
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