Journal du 7 au 13 décembre 2015

Lundi

Toi mon toi

Les affaires n’avancent pas mais bonne nouvelle : mon article “COP21” est terminé. Il traite de la “véganisation” de Lille et des alternatives aux produits d’origine animale dans la région. J’ai été inspirée par mon histoire et mes récentes sorties. Notamment la projection d’un documentaire pro-vegan au cinéma L’Univers le mois dernier, et ma visite au salon Naturabio à Lille Grand Palais il y a une semaine.

Ce soir, Paul est venu à la maison et nous avons parlé des vacances de février. Tous les deux dans un chalet à la montagne. Monsieur veut un poêle à bois et moi pas de connexion internet. Je pourrai lire deux bouquins par jour et faire des promenade à dos d’âne. Le Jura et les Vosges sont trop chers, mais j’ai trouvé sur le site Airbnb.fr une maisonnette dans le massif du Morvan, à trois heures de Paris. Il s’agit de trouver un moyen de locomotion, maintenant.

Précision : le Front national a obtenu plus de 40 % des voix au premier tour des élections régionales, hier. Le Nord-Pas-de-Calais-Picardie tire la gueule.

Épuisée, je m’apprête à passer une bonne nuit avant la blanche de demain soir. J’ai beau ne trouver aucune logique rationnelle à mon comportement, je persiste à procrastiner et à appeler à l’aide. Personne ne vient.

Mardi

Je te donne

A venir : première nuit sans sommeil de l’année. J’ai mis 5/10 au film de Valérie Donzelli Marguerite & Julien, 6/10 à la pièce de Cyril Teste Nobody et 5/10 au roman de Javier Cercas L’Imposteur. Oui, je me permets de noter un livre pas encore terminé. Il ne me reste que neuf heures avant d’en écrire une réelle critique, à l’école. Je me montrerai sévère car j’ai souvent vu et lu des perles d’art. Cela se trouve. A la recherche de la plus rare d’entre elles, je songe à retourner au cinéma demain soir. Mes journées marathon s’enchaînent sans temps-mort. Mais pourquoi ne contiennent-elles que vingt-quatre heures?

Les uns et les autres ont donné leur sang en soutien aux victimes du 13 novembre. J’ai renoncé à en faire autant, vu mes derniers résultats de prise de sang. Végétarienne depuis sept ans, je me résous à prendre des compléments en fer et vitamine B12 tous les 36 du mois. Végétalienne depuis un mois, j’espère un jour manger équilibré. Je rêve du temps récent où je donnais moi aussi : août 2015. Il n’y a pas de petit don, il n’y pas de petite minute.

Mercredi

Ça, c’est vraiment toi

Journée sans fin numéro 3. J’ai vu le dernier film de Nanni Moretti Mia Madre au Métropole de Lille ce soir. Tout à fait génial. J’ai pleuré comme de coutume. Deuxième succès de la journée puisqu’un peu plus tôt ma critique de L’Imposteur n’a pas été trop mal reçue.

Pourtant, la soirée aurait pu tourner au vinaigre au théâtre du Prato lorsque je me suis accrochée avec Mylène, l’une de mes camarades de jeu. Nous nous sommes quittées un peu fâchées. Pour une querelle dérisoire : je me suis attribuée un rôle que je la soupçonnais de convoiter. Alors, je n’ai cessé de lui demander si elle en voulait : “Je ne lui en aurais pas tenu rigueur”, prétendai-je. Mais Mylène a fini par s’agacer de mes simagrées et m’a gentiment répondu : “Non, tu peux le garder ton rôle, je n’en veux pas.”

Je m’endors néanmoins ravie par cette journée interminable. Mon interview d’une écrivaine sud-coréenne a fait mouche. En attendant d’en être une, un jour viendra. (soupir)

Jeudi

Femme libérée

Du fin fond de l’hiver, j’annonce officiellement mon état grippal qui n’en est pas un. Je suis malade. Je n’ai pas fait exprès. Mes voisins pas très présents ces derniers temps ne s’en sont même pas aperçus. Lorsque je joue de la trompette à en faire trembler les murs, personne pour m’accuser de tapage nocturne.

Je prévois un voyage en Belgique et aux Pays-Bas dans les prochains jours. Mes destinations de prédilection Bruxelles et Amsterdam en ligne de mire. Je n’ai qu’une hâte : faire des pas chassés toute seule au musée Van Gogh.

La session culture est officiellement terminée : adieu théâtre, littérature et cinéma. Mes cours de théâtre se sont également achevés ce soir. Nous ne nous reverrons pas avant quatre semaines. La montagne de textes à mémoriser d’ici là ne m’intimide pas, j’ai renoncé au premier rôle.

Vendredi

Les démons de minuit

Demain, enfin demain. Bruxelles & Amsterdam. Mais aujourd’hui, je tarde à trouver le sommeil. Pourquoi font-ils tant de bruit dehors ? Craignent-ils qu’on ne les entende pas assez ? (…) Je ne voterai pas “contre” le FN dimanche simplement parce que je n’y crois pas (…) A croire qu’ils font la fête dans le froid, dans la rue et ne s’arrêtent jamais de crier. “Y en a qui essaient de trouver le sommeil”, soupirai-je le nez encombré. Qu’importe. Dans sept jours, je retrouverai ma maman et pourrai lui confier mes histoires d’insomnie.

Astrid trouve qu’il manque quelque chose à notre groupe de théâtre (celui du jeudi soir). Moi, j’espère créer quelque chose et ce, malgré Marjorie. Notre responsable de troupe a toujours cet air dépressif, elle me regarde avec un air mauvais.

Samedi

Voyage, voyage

J’ai débarqué aux Pays-Bas sous des trombes d’eau, le ciel bleu nuit. En descendant du bus, j’ai pivoté, glissé sur le pavés trempés et me suis cassée la jambe. Non, j’ai marché tout droit. J’ai rejoint la maison d’Ann Frank près d’un des nombreux canaux de la ville, puis poireauté sous la flotte trente minutes le regard dans la vague, droguée avant l’heure. La visite bouleversante, je suis retournée sur mes pas jusqu’au centre-ville, d’où j’ai rejoint une petite bicoque à la devanture “vegan”. Un café végétalien tenu par un vieux Jamaïcain mastiquant un kaki. La soupe miso m’a brûlé la langue au cinquième degré, mais la salade quinoa-avocat qui a suivi m’a réconciliée avec le goût.  Les deux trentenaires rencontrées sur place sont originaires de Tel Aviv. Nous avons parlé vélo et amour. Elles sont tombées raides dingues de la Venise du Nord. Je comprends le danger et m’éloigne à pas de loup. Pas question de m’attacher.

Demain, je tenterai la distance, dans le tramway puis au musée. Le retour sur terre (Lille) s’annonce délicat.

Dimanche

On va s’aimer

De retour de l’étranger. Je crains la solitude et passerai la semaine prochaine dehors. Le chez-moi n’existe pas. “J’irai chez Paul”,  ai-je décidé sur le chemin du retour. Mes compagnons de covoiturage se sont révélés surprenants. Pas de couples, des “amis”. Je découvre les relations modernes. Intéressante conception de l’amitié-amour, mais encore difficile de s’y faire. Amsterdam démocratise le marginal.

Un mal en chasse un autre. Un bouton m’a poussé dans l’oreille : extrêmement douloureux. Google me soignera-t-il ? Mon corps est épuisé, j’étouffe. Va-t-il lâcher ? Pas de cure de sommeil envisageable avant plusieurs semaines.

Aujourd’hui, je n’ai pas voté. Personne ne m’en a tenu rigueur. Qu’aurais-je pu faire pour la patrie, celle-là même qui part en fumée ? Vingt ans que j’entends des inepties. Trop jeune pour l’indifférence, je ne prends pas le temps de m’engager. Le mien (temps) vole, je décroche. Seul un chalet à la montagne, un bouquin, un tourne-disque et un poêle à bois pourraient nous réconcilier.

Marie Albert

16 décembre 2015 – ESJ Lille

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Marie Albert

Aventurière, journaliste et autrice féministe

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