(Avertissement : harcèlement sexuel)
Pourquoi j’ai quitté l’Agence France Presse, où je rêvais de grandir journaliste.
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29 septembre 2018
Je travaille dans un service ennuyeux de l’Agence France Presse depuis plusieurs mois. Mes horaires changent chaque jour. Je commence souvent à 7 heures du matin. Je reste assise sur un chaise pendant sept heures, fixée à mon écran d’ordinateur. Je travaille les week-ends. Ma cheffe refuse de m’accorder des vacances. Depuis six mois, je supporte les questions à connotation sexuelle de mon collègue de 50 ans, Arnaud Blain. Nous nous croisons peu, or il trouve toujours le temps de me ridiculiser : « Tu es fatiguée ? Pourquoi ? Tu as fait quoi la nuit dernière ? Ahahah » est sa réplique favorite. Il s’agit d’humiliations, pas de plaisanteries. « Tu as besoin de moi ? Pour quoi faire ? Ahahah. »
Un samedi midi, il arrive en retard pour me relayer, comme de coutume. « Tu es contente que j’arrive, hein ? Ahahah », glisse-t-il. Ma première stratégie : l’ignorer, ne plus lui adresser la parole. Elle a d’abord fonctionné, nous n’avons plus échangé du tout. J’entrouvre le dialogue, convaincue que deux collègues doivent discuter pour travailler. Ma cheffe est en congés, mes autres collègues femmes ignorent ce que j’endure. Ce jour-là, Arnaud se montre entreprenant : « Fatiguée ? Tu as fait quoi cette nuit ? Ahahah. » Ce à quoi je réponds froidement : « Rien, pourquoi ? » J’enfile mon bonnet pour filer : « La prochaine étape, c’est les moonboots ? Tu vas au ski ? Ahahah ». Il évite mon regard, fixe plutôt mes seins, mes jambes et mes fesses. C’est la moquerie de trop. Je lui demande fermement d’arrêter ses « blagues pourries ». Arnaud prend un air vexé. Il ne s’attend pas à une réplique. Son regard dévisse de mon corps pour coller à son écran d’ordinateur. Je contourne le bureau qui nous sépare, m’approche de lui. J’utilise la technique de défense verbale bien rodée : celle dite « des trois phrases ». D’abord, je lui décris la situation : « Tu me fais des blagues de cul depuis six mois. » Ensuite, je lui exprime mon sentiment : « Je ne les trouve pas drôles, elles me mettent mal à l’aise. » Enfin, je lui exprime ma volonté : « Je veux que tu arrêtes immédiatement. » Je répète ma requête jusqu’à ce qu’il réponde « D’accord ». Il refuse le dialogue, les yeux rivés sur son écran. Il me demande de quitter les lieux. « Je pars quand je veux », je réponds.
Je tourne les talons. Je me sens soulagée et fière, dans l’escalier de l’Agence France Presse. Je me sens puissante. Arrivée sur le trottoir, je fonds en larmes. La culpabilité naît dans mon esprit. Je prends peur. Pourquoi aux sentiments de puissance et de fierté succèdent la honte et le désespoir ? Je ne suis pas responsable des événements, or je me sens responsable des conséquences. Mon état mental se détériore, les jours suivants. Arnaud refuse de m’adresser la parole, lorsqu’il me recroise. Il m’en veut. Il prend un air de petit garçon, pris sur le fait. Il se pose en victime. Il raconte sa version des faits à un de ses collègues, juste devant moi. Leurs messes basses me mettent en colère. Mon cœur s’emballe. Je tremble. « Tu cherches un avocat en la personne de X ? On règlera cette histoire au retour de notre cheffe », je le préviens. « Tais-toi et va-t-en », répond-il. Je renonce à obtenir des excuses, ou même une normalisation de notre relation. Ce climat hostile me rend impossible le travail. Je nomme son comportement “harcèlement sexuel”. Mes amies me soutiennent. Je prends rendez-vous avec la médecin du travail de l’Agence France Presse et m’effondre dans son bureau. Je rencontre le directeur des ressources humaines (DRH), appelle ma cheffe, demande à ma psychiatre un arrêt de travail et des antidépresseurs. Je patauge au fond du trou. Je veux changer de service, mais la direction refuse. Les anxiolytiques m’anesthésient momentanément. Je rejoins la catégorie « légumes ».
Après trois semaines de lutte, les ressources humaines accèdent à ma demande : je change de service. À la seule condition que je travaille deux semaines de plus, sans Arnaud, dans le service qui tue. Je signe l’accord. Je sors du trou. Arnaud reçoit un avertissement mais reste à son poste. Lorsque je le croise, il me sourit éhontément. Je remercie la médecin du travail et son soutien au sein de l’entreprise. Dans mon nouveau service, je ne laisse aucun interstice à la plaisanterie. De vieux mâles sexistes m’entourent, partout. Je me méfie de tous.
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Marie Albert
12 juin 2020
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j’ai 54a et j’avoue que je n’ai jamais été le témoin d’aucun harcélement dans toute ma vie profésionnelle … mais je sais que ça existe … on a du mal à comprendre si ce n’est que ces hommes n’ont strictement aucune imagination no rien pour eux
Marie, quand j’avais ton âge et qu’un homme plus âgé me parlait de cette manière, je lui adressai des paroles à mon tour qui faisait recroqueviller son appareil génital jusqu’à l’intérieur de sa gorge, ce qui le rendait muet pour un bon bout de temps. Je ne comprends pas qu’on attende autant pour réagir à ce type de propos, j’ai l’impression que l’éducation des filles a tellement régressé, qu’on les transforme en proie pour des prédateurs au lieu de les élever dans la conscience de leur égalité et de leur dignité d’êtres humains. Je comprends d’autant moins que tu fait preuve d’un courage et d’une endurance physique hors du commun, du coup, je me demande si tu ne relates pas le témoignage de quelqu’un d’autre.
Bonjour Strongwoman, les victimes ne sont jamais responsables des violences qu’elles subissent. Seuls les agresseurs le sont. Culpabiliser les victimes (« Je ne comprends pas qu’on attende autant pour réagir à ce type de propos ») est contre-productif et violent. D’autant que je raconte une histoire de victoire dans cet article. Je me suis activement défendue face au harcèlement sexuel. Il est donc hors de propos de m’accuser d’inaction. Ceci est bien mon témoignage, je l’assume, et vous demanderai de ne pas juger mes réactions (ou non réactions) à l’avenir. Bonne journée, Marie