1er janvier 2019 : « On a décidé que ce serait l’année de la meuf. J’ai décidé d’arrêter les réseaux sociaux. Mon premier roman aura pour titre La Puissance, mon tour du globe en 120 jours. Je suis partie pour la fuir. Je suis partie pour le fuir. Est ce que je finis par me fuir moi-même ? Comme je m’ennuie lorsque je suis seule. »
5 janvier 2019 : « Je n’ai pas dormi la nuit dernière à cause du stress, de la chaleur, du bruit, de la lumière. J’ai fait quatre siestes aujourd’hui. »
« Le port est beau la nuit, illuminé par des ‘petites’ ampoules. Les bateaux aussi sont illuminés. Quand ils arrivent en haute mer, tout s’éteint. »
6 janvier 2019 : « Il n’est que 16h15 et je m’ennuie tellement. Je ne peux pas dormir toute la journée. Manger toute la journée. Allez, je vais regarder Titanic toute seule sur mon smartphone. »
7 janvier 2019 : « Nous sommes en mer, c’est magnifique. Je m’angoisse avec les innombrables tâches que je dois accomplir dans la journée. Alors que je n’ai strictement rien à faire. Quand aller courir sur le pont ? Faire mon yoga ? Prendre ma douche ? Lire ? Écrire ? Je dois tout planifier sinon le vide m’absorbe comme hier. »
10 janvier 2019 : « Je suis descendue du cargo pour visiter Algesiras (Espagne). Il fait presque 20 degrés. J’ai marché 8 kilomètres pour aller à la plage et en revenir. J’ai trempé mes pieds dans l’eau glacée de la Méditerranée. »
13 janvier 2019 : « Le cargo tangue plus qu’hier car les vagues le percutent en diagonale, m’explique Ronald, qui s’est rasé la tête. J’ai eu du mal à le reconnaître. J’essaie de trouver une position confortable pour écrire sur le sofa de la passerelle mais c’est impossible. Je me casse le dos. »
15 janvier 2019 : « C’est complètement dingue de naviguer sur le canal de Suez. À droite, l’Égypte continentale. À gauche, le désert du Sinaï. Nous déboucherons ce soir sur la mer Rouge. Le canal de Suez fait 80 kilomètres de long. Douze heures de traversée. Du sable à perte de vue. »
18 janvier 2019 : « La mer Rouge est d’un calme. J’ai cru voir des dauphins au loin. L’eau sereine comme un lac. Les nuages bas. Cela fait presque peur. »
« Je me réveille toutes les nuits vers 4 heures du matin. Du mal à me rendormir. Une colère sourde en moi. Aucune douleur, juste de la rage. Le matelas est tellement dur. Je dors sur un flanc, puis l’autre. J’ai un torticolis. Je teste le sofa pour changer. Il est bien étroit. Le sommeil vient, repart. Je ne fais jamais de nuit parfaite. »
22 janvier 2019 : « Nous sommes arrêté.e.s au port de Jebel Ali aux Émirats arabes unis, situé à 60 kilomètres de Dubaï. Je n’ai pas le droit de descendre à terre. »
25 janvier 2019 : « Ici, c’est mon cocon. Je n’ai aucune responsabilité, sauf celle de dormir la nuit. J’aime l’ennui : mon imagination est féconde. »
31 janvier 2019 : « J’ai toujours mal à la gorge. Très mal dormi. Très envie de sortir dehors, de toucher la terre, d’aller n’importe où loin du cargo. Je vais essayer cet après-midi. Il fait 35 degrés dehors mais ce n’est pas grave. C’est magnifique la Malaisie, il y a des palmiers et de l’eau partout autour. »
1er février 2019 : « Je suis assise dans l’herbe sur un terrain de foot de Port Kelang (Malaisie), tout près des habitations mais assez loin des rues fréquentées. Je ne suis pas trop dérangée. Je ne pense pas que je pourrai passer des heures ici car il fait 50 000 degrés et j’ai déjà ma bouteille à moitié vide. Je sue des litres d’eau. »
2 février 2019 : « Que dire ? L’eau est turquoise. Il fait chaud. Je suis bien. J’ai envie de dormir. Je ne pense à rien. Les jours à venir m’emplissent de joie. Mais là tout de suite, je ne pense à rien. J’ai peut être un reste d’insolation d’hier. »
6 février 2019 : « Le cargo est entouré d’un brouillard doux. La température extérieure chute progressivement. Celle de l’eau, encore plus. »
7 février 2019 : « J’ai de la musique roumaine dans la tête aujourd’hui. J’ai quitté le cargo à 11 heures après la nuit la plus courte jamais enregistrée à bord et le Georg Forster a quitté le port de Xiamen (Chine) à 14 heures. Ils sont partis. Je ne les verrai plus jamais, sans doute. C’est étrange de quitter ma maison, mes habitudes, mon ennui. Je me sentais seule mais j’étais tellement entourée. »
« C’est surnaturel. Je suis assise sur un petit pot devant une soupe et des dumplings inconnus sur le trottoir d’une rue très animée de Xiamen (Chine). La nuit tombe. Il fait 20 degrés. Je ne parle pas un mot de chinois. Les Chinois.e.s ne parlent pas un mot d’anglais. C’est kafkaïen. Une heure que je me promène dans cette ville incroyable. Tradition, nature et modernité en un seul endroit. »
14 février 2019 : « Snow, la volontaire de l’auberge de jeunesse où je crèche, m’a recommandé le parc que je viens de visiter. C’est magnifique et très reposant. Bien sûr, je n’ai pas pu faire une seule chose à la fois. J’ai écouté plein de podcasts en anglais en marchant. Après trois heures d’effort, je me suis posée dans le meilleur restaurant indien de Ningbo (Chine). »
15 février 2019 : « Snow, 20 ans, voyageuse-travailleuse originaire du fin fond de la Chine, me semble mature, intelligente, intellectuelle, féministe. Tout l’inverse du cliché de la Chinoise que j’avais en tête. Elle veut être libre de voyager seule et ses études de chinois l’ennuient profondément. Elle est déjà libre. »
Marie Albert
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Je suis dans le TGV. Me reveillant d’une étrange sieste, jepense soudain à toi. Et, me dis-je, Marie faisait des photos, peut-être a t-elle une page, un site, un truc ou un autre dont je ne connaitrais pas franchement le nom ou le fonctionnement mais un truc quand même? Me voilà donc partie à l’aventure et…je tombe ici. Je t’imagine maintenant à bord de ton deuxième cargo, au milieu de l’immensité aquatique, que je pressens aussi belle et inquiétante que l’autre immensité avec laquelle nous avons à négocier, celle qui se loge et se meut dans nos forts -et fragiles- intérieurs. Alors je t’envoie quelques pensées chaleureuses (dérèglement climatique et 20° sur l’hexagone en plein mois de février oblige :)) et me rejouis que la question, le mot et le mouvement soient toujours tes alliés.
Marion