J’ai 23 ans et mon vagin est hors-service, je me demande s’il ne faudrait pas l’enlever de mon corps quelques temps pour me donner du répit.
Épisode 1
Je n’ai pas été hospitalisée par sa faute. Je suis entrée à l’hôpital le 1er septembre 2017 à cause de mon genou. Mon genou droit qui ne tenait plus depuis plusieurs mois, ou plusieurs années. J’avais eu un accident de rugby quatre ans auparavant qui m’avait privé de ligament croisé antérieur mais je préférais vivre sans subir une opération me paralysant plusieurs mois. Donc j’ai suivi la vie jusqu’au diplôme de journaliste, alors que mon genou déviait de plus en plus. Au début de l’année 2017, ma rotule a joué un mauvais tour dans un bar de Bruxelles et je n’ai plus reposé mon pied du week-end. Grâce à mes attelles, j’ai tenu quelques mois avec ce genou en bois, qui me lâchait à des moments divers : en rentrant de soirée, en allant en cours, en faisant du vélo. J’ai décidé de programmer une opération en septembre, afin de réparer les dégâts.
J’ai terminé mon contrat d’apprentissage à l’Agence France Presse le 31 août. Le lendemain, j’étais au bloc angoissée à l’idée de mourir durant l’anesthésie générale. J’ai pris des photos de mon genou intact. Après deux heures d’intervention, je me suis réveillée défoncée en salle de réveil et j’ai flotté jusqu’à ma chambre d’hôpital où attendaient mon père et ma sœur. La première nuit, j’ai eu des nausées à cause de la morphine puis elle a cessé de faire effet et j’ai souffert. La deuxième nuit, je me suis réveillée avec des crampes dans le bas-ventre me faisant redouter une fausse couche. Il s’agissait bien de mon utérus, paniqué par l’anesthésie, qui tentait d’expulser un ovule bien vide comme d’habitude, mais à grand renfort de crampes menstruelles qui m’ont fait tortiller.
Le lundi suivant, j’ai quitté l’hôpital d’Antony pour le centre de rééducation de Châtillon. Deux hommes m’ont soulevée et installée dans une ambulance mais elle ne hurlait pas sur la route car pas d’urgence. Je suis arrivée avec mon énorme genou et mes cicatrices et mes béquilles devant le centre. J’étais terrifiée par toutes les personnes amputées qui profitaient du soleil sur le perron. J’ai rejoint ma chambre et la médecin m’a annoncé que j’allais passer six semaines là. Un mois et demi durant lequel je n’ai jamais eu droit de manger végane. J’ai tout de même avalé, chaque jour, des féculents et légumes avec mes co-patient.e.s dans la cantine spacieuse du centre.
Le matin, je restais dans mon lit le plus longtemps possible, car la nuit avait toujours été perturbée par des douleurs lancinantes au genou. Ensuite, je passais quatre ou cinq heures dans la salle de kinésithérapie avec des électrodes, installée sur des machines ennuyeuses ou entre des barres parallèles, avec une grimace de douleur. Ce rythme a duré plusieurs semaines, puis j’ai eu droit à la piscine, mais l’activité n’était guère excitante car le bassin était minuscule. J’ai progressé comme prévu et j’ai quitté mes béquilles après un mois.
J’ai passé sept semaines au centre de rééducation de Châtillon, plus que prévu. J’ai rencontré des humain.e.s qui m’ont plu, là-bas, et j’ai décidé de les interviewer pour un dessein futur (qui n’a toujours pas vu le jour). J’ai rencontré un garçon qui m’a beaucoup plu, et je l’ai gardé avec moi aussi longtemps que j’ai pu, mais il est parti après quelques semaines car plus besoin de soins. Je suis restée seule, sans lui dans mon lit, et c’était très triste mais je souffrais moins de son absence car il me rendait fréquemment visite en douce. Après mes dernières interviews et mes dernières séances de musculation, j’ai dû ranger mes affaires et partir du centre, un matin d’automne. Je suis rentrée chez mes parents dans les Yvelines en attendant une bonne raison d’aller à Paris.
Épisode 2
J’ai vécu deux mois dans la quiétude et le bien-être avant de rejoindre Lille pour un week-end dans le froid et la gaieté. Je n’ai pas dormi et une angine sortie d’un garçon a attrapé ma gorge pour ne jamais plus la lâcher. Je suis rentrée à Paris et mon lit m’a happée mais je ne pouvais ni dormir, ni manger, ni boire. J’ai rencontré une médecin qui m’a prescrit des antibiotiques. Le cauchemar a commencé. Deux jours plus tard, mes jambes se sont couvertes de boutons rouges et mes pieds ont commencé à gonfler. Mes parents ne sont moqué.e.s de moi quand je leur ai affirmé qu’il s’agissait d’une allergie à l’amoxicilline. Le lendemain, j’ai consulté une nouvelle médecin qui m’a conseillé d’aller aux urgences car je montrais des signes de “purpura rhumatoïde”.
Arrivée à l’hôpital de Versailles, le médecin m’a fait une prise de sang mais les résultats n’étaient pas bons donc il a craint une méningite. Il a annoncé naturellement qu’il allait me faire une ponction lombaire. Deux infirmières ont apporté un appareil qui dégageait un gaz hallucinatoire mais j’étais défoncée en deux secondes et j’ai refusé de porter le masque plus longtemps. Par un miracle que personne n’explique, je n’ai presque rien senti durant la ponction lombaire, et le médecin magicien m’a annoncé quelques heures plus tard que je n’avais pas de méningite.
Mon cas inquiétait toujours l’hôpital, qui décida de me garder en observation pendant 48 heures. J’ai réalisé que je passerais donc Noël hospitalisée. La perspective m’a chagrinée mais je n’ai jamais pu négocier ma sortie et j’ai passé trois jours avec un cathéter dans le bras et des antibiotiques dans le sang. Le seul avantage du cathéter, c’est qu’il me délivrait de l’eau automatiquement, donc je vivais sans bouteille. J’errais dans les couloirs de l’hôpital au milieu de patient.e.s atteints de cancer, ou autre. Je toussais comme une vieille dame à cause de l’angine.
Le matin du 25 décembre, j’ai supplié le nouveau médecin de me laisser sortir, car je devais re-travailler à l’AFP le lendemain. Après 15 nouvelles prises de sang optimistes, j’ai pu poser le pied dehors, et je ne suis jamais revenue.
Épisode 3
Je n’ai pas terminé le traitement antibiotique contre l’angine blanche que m’avait prescrit le médecin de l’hôpital. Deux mois plus tard, un nouveau rhume m’a saisie et j’ai pensé “quelle injustice”. Je venais de passer trois jours dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes où il faisait très froid. J’avais eu les pieds mouillés pendant quelques heures et je grelottais. L’angine a repointé le bout de son nez et j’ai réussi à l’exterminer à coup de miel, thym et huiles essentielles mais je passais beaucoup de temps à dormir.
J’ai eu l’idée de retourner à Notre-Dame-des-Landes quelques jours plus tard, en voiture cette fois. Sous la tempête de neige, avec des inconnu.e.s, je suis arrivée à la ZAD au milieu de la nuit. Après quelques heures sur place, j’ai décidé de me réfugier dans un appartement chauffé de Nantes avec mon amoureux. La toux a pris ma gorge et je n’arrivais plus à dormir tellement elle tambourinait. J’ai décidé de prendre plusieurs bain pour me calmer.
Mais alors j’ai développé une nouvelle mycose vaginale. Et puis une infection urinaire. Au milieu de la nuit, j’ai décidé de rentrer à Paris car je souffrais à ne plus fermer l’œil. J’ai pris un train à quatre heures du matin puis un bus et un deuxième bus. Je suis arrivée devant le cabinet de mon médecin traitant au petit matin pour le supplier de m’accorder une ordonnance d’antibiotiques. Je me suis soignée en quelques jours mais ma flore vaginale n’a jamais retrouvé d’équilibre et je songe à arrêter les relations sexuelles.
Des années que je souffre pendant et après les rapports, alors que l’homme ne se plaint jamais, je trouve injuste cette situation. J’ai consulté des dizaines de médecins et gynécologues qui n’ont jamais pu expliquer pourquoi : pourquoi ces infections urinaires, pourquoi ces mycoses, pourquoi ces irritations. Mon seul répit repose dans l’éloignement physique des hommes : je ne souffre plus et réfléchis à des solutions de long terme.
Mon rhume et mon angine me semble éteint.e.s pour le moment, mais je crains de les réveiller à tout moment. Je dois me reposer, ne plus voyager, ne plus sortir, ne plus baiser. Je crois que ces 54 jours à l’hôpital et tous les autres dans mon lit ont raccourci ma jeunesse. Je ne peux plus tenter d’expériences sans réfléchir aux conséquences.
Après six mois de rééducation, mon genou s’est musclé et fonctionne mieux qu’avant, mais je crains de courir. Des douleurs apparaissent lorsque je force trop. Je dois veiller à mes pas pour ne pas déraper et tordre une autre articulation vaillante. Je me sens vulnérable alors je vais nager, je pratique le yoga et je prends le vélo pour renforcer ce que je ressens fragile. Chaque jour, je repousse ces souvenirs d’hôpital, maladie et souffrance, pour avancer en bonne santé. Mais je n’ai pas gagné.
Marie Albert
21 février 2018
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Tu n’as pas perdu non plus, parce que la partie n’est pas jouée à 23 ans. Tant qu’on est vivant. En tout cas tu es sacrément courageuse.