Février 2016 : une vidéo de l’association L214 jette le discrédit sur l’abattoir « bio » du Vigan, dans le Gard. Un an après ces images choc, le tribunal correctionnel d’Alès doit juger la responsabilité de trois employés et de l’établissement.
Le 23 mars s’est ouvert à Alès le premier procès pour maltraitance animale visant un abattoir. Celui du Vigan (Gard), petit établissement « certifié bio » qui fonctionne en circuit court. Trois employés de l’établissement sont poursuivis, dont un pour « sévices graves ou acte de cruauté envers un animal domestique, apprivoisé ou captif ». Il encourt deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. Jugée en tant que « personne morale », la Communauté de commune du Pays viganais n’est pas épargnée. Il lui est reproché, en tant que personne morale, « l’abattage d’un animal sans précaution pour lui éviter de souffrir ».
Dans la vidéo, on voit des moutons projetés par-dessus une barrière, des bovins aux cornes coincées dans des box trop petits, des cochons qui se débattent alors qu’ils devraient être inconscients. On y entend aussi les rires d’un homme en train d’infliger des décharges électriques.
Malgré le scandale et le procès qui secouent la petite commune du Vigan – 7.000 habitants – depuis un an, l’abattoir tourne à plein régime. Ses trois employés abattent environ 300 tonnes de viande par an : moutons, cochons, vaches et chèvres. Les rares personnes qui acceptent de témoigner assurent que les conditions d’abattage se sont améliorées. « On a refait le sol, réaménagé la circulation des animaux« , détaille Cécile Bourguet, spécialiste du comportement animal. L’éthologue a travaillé pour l’abattoir du Vigan de février à décembre 2016. Elle reconnaît qu’il « reste des travaux à faire », mais ne pourra contrôler leur mise en œuvre : « Je ne travaille plus pour l’abattoir. » Pourquoi ? L’établissement change de propriétaire. La Communauté de communes du Pays viganais le cède à un collectif d’éleveurs locaux, pour des motifs économiques. L’abattoir accuse 150.000 euros de pertes sur huit ans.
Dont 70.000 euros en 2016. Depuis le scandale, la collectivité locale a dû investir dans la modernisation de son abattoir et former ses équipes. Elle s’est séparée de deux des trois employés mis en cause dans la vidéo : l’un a été licencié, l’autre n’a pas vu son contrat renouvelé. Après un mois de fermeture préventive, l’établissement a rouvert en mars 2016. Roland Canayer, président de la Communauté de communes du Pays viganais, justifiait cette décision « par la proximité des fêtes de Pâques ». Jusqu’en décembre, il a rémunéré l’éthologue Cécile Bourguet pour former les employés et relever les défauts de l’abattoir.
Mais les associations en demandent plus. « Nous n’avons pas pu visiter l’abattoir depuis la vidéo de L214 », regrette Dimitri Nguyen, assistant de direction de l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA). L’association a coutume de visiter les établissements pour émettre des recommandations. Dimitri Nguyen estime néanmoins qu’au Vigan, l’essentiel a été fait : « L’abattoir a changé de personnel ». C’est aussi l’avis de Joël Bouis, directeur général des services (DGS) de la mairie du Vigan, pour qui les employés poursuivis sont « des connards (sic) ». Mais l’OABA relève que « certaines infrastructures n’étaient pas adéquates » à l’abattoir de Vigan. Impossible de vérifier si la circulation des animaux et leur mise à mort s’est améliorée depuis février 2016 : l’abattoir, la Communauté de communes du Pays viganais (toujours propriétaire) et la Direction départementale de protection des populations du Gard (chargée de son contrôle) ont refusé de répondre à nos questions.
« Un abattoir reste un abattoir »
Brigitte Gothière, directrice de l’association L214, sait que l’abattoir « a commandé du matériel neuf » : « Mais c’est de l’affichage. Il veut passer pour l’abattoir exemplaire », note la militante végane. Pas d’exemplarité sans « augmentation des effectifs des services vétérinaires, souligne Dimitri Nguyen, de l’OABA. Il faut quelqu’un en permanence au service d’abattage. » Même chose pour la vidéosurveillance, qui doit être installée : « Il faudrait que quelqu’un regarde les vidéos de manière régulière », pointe le militant. Or seuls un membre de l’abattoir ou des services vétérinaires pourra y avoir accès. Les moyens manquent.
Depuis le scandale de février 2016, la situation économique de l’abattoir du Vigan se détériore. L’établissement est déficitaire : il a perdu 70.000 euros en 2016. A la fin de l’année, la Communauté de communes du Pays viganais a annoncé vouloir céder, voire fermer l’abattoir en l’absence de repreneur. Un agriculteur local, Stéphane Thiry, a alors rassemblé une quarantaine d’éleveurs pour devenir les prochains gestionnaires. Le projet de SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) doit se concrétiser avant fin-avril. La vente de l’abattoir s’échelonnera ensuite sur vingt ans. La coopérative d’agriculteurs devra s’acquitter de petites mensualités, pour éviter l’endettement.
Conscient que le travail d’ouvrier en abattoir « est un métier difficile sur le plan physique et psychologique », le leader du collectif Stéphane Thiry souhaite « la réduction par deux des cadences de travail ». L’abattoir du Vigan va-t-il devenir un exemple éthique ?
Des petits paysans veulent faire de l’abattoir du Vigan un exemple éthique https://t.co/lIo0SpFDKb via @Reporterre
— Yves Cambus (@YvesCambus) 18 février 2017
Joël Bouis, le DGS de la mairie du Vigan, n’y croit pas : « Un abattoir reste un abattoir. » Il pointe le déficit de la structure : « Le tonnage effectué par l’abattoir est insuffisant pour arriver à l’équilibre économique. » Les 40 éleveurs ont jusqu’au 30 avril pour reprendre l’établissement. Autrement, il fermera ses portes. Les agriculteurs locaux devront alors envoyer leurs bêtes à plus de 60 kilomètres, à l’abattoir d’Alès… lui aussi épinglé par une vidéo de L214 en 2015.
Marie Albert
23 mars 2017 – ESJ Lille
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