«D’après une histoire vraie»

Photo tous droits réservés © Joséphine Duteuil

Les yeux perdus dans le vague, je fixe mon interlocuteur, cherche un soutien. Voilà trois mois que je vois net, pourquoi la nature me rappelle-t-elle ma misère oculaire ? J’ai subi une opération de la myopie en juillet.

Je fais partie des vingt millions d’être humains à avoir fait ce choix. Rien qu’en France, 150 000 franchissent le pas chaque année. L’intervention au laser sous anesthésie locale dure dix minutes pour une facture de plusieurs milliers d’euros, non remboursés par la Sécurité sociale. A 21 ans, j’étais prévenue. Ma myopie pas encore stabilisée, mon compte en banque à découvert, mes parents réfractaires. C’est un documentaire sur la chirurgie réfractive qui m’a décidée. Je ne supportais plus les lentilles, portais des culs-de-bouteille, vivais dans le flou. Astigmate, myope, je collectionne les défauts de la vision. Quand d’autres contractent un crédit pour financer leurs études, je me pointe à la Société Générale pour emprunter trois mille euros, “de quoi changer de vie”.

Petit tour chez le chirurgien ophtalmologue, qui me promet “la renaissance”. Mon cas est sujet à débat, mes parents me soutiennent-ils ? Une rechute de la myopie est possible à mon âge. Malgré les mises en garde, je passe sur le billard, quinze minutes à tout casser pour retrouver la vue cristalline dont je rêvais. Opérée au laser, l’intervention est indolore ou presque. Après quelques heures de détresse lacrymale, la gamine est devenu femme. Le flou laisse place au net, de quoi mettre mes idées à leur place. Trois mois durant, j’oublie mes yeux de grande myope, vulnérables. Mon chirurgien se remplit chaque jour les poches d’opérations millimétrées assistées par ordinateur. Reçoit dans son cabinet avenue de Breteuil, 80 euros la consultation. Tranche : “Vous avez 10/10e, votre vue est parfaite.”

Un matin d’octobre, la fac de sciences du Mirail, à Toulouse. C’est flou dans mon souvenir, mais dans mes yeux ça valse aussi. Mon œil gauche flanche, se défausse, sec et embrumé. Je cligne, verse une larme, rentre la tête dans les épaules. Après l’apogée, le déclin. Face à l’ophtalmo, la mine est grise. “Vous chipotez, vous voyez presque bien, je vous prescris des lunettes si vous voulez.” Très longue, la cicatrisation anéantit parfois les miracles de l’opération au laser. Aucune intervention chirurgicale n’est bénigne, je l’ai appris à mes dépends. Trois mois de clarté, et après ? Il me reste ça, mes yeux pour pleurer.

Marie Albert

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Marie Albert

Aventurière, journaliste et autrice féministe

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