Je sors deux ans avec un homme violent

Photo tous droits réservés © Marie Albert

Avertissement : violences conjugales

En février 2021, j’ai porté plainte contre Paul Boulben pour violences conjugales. Je raconte notre histoire dans cet épisode de mon podcast.

Mon podcast Marie Sans Filtre est diffusé sur toutes les plateformes d’écoute, ou à cette adresse : anchor.fm/mariesansfiltre

Je ne t’ai jamais dit que tu es violent. Je ne t’ai jamais confronté. Après deux ans de relation, je t’ai quitté à l’été 2016 car je ne t’aimais plus. Nous avons gardé contact jusqu’à l’année 2019. Je relis le dernier message que tu m’as envoyé, sur Facebook : “Désolé ma biche je me suis fait moi-même de faux espoirs”, le 13 juillet 2019. Tu proposes que nous nous voyons, mais tu n’as pas pu te déplacer. Tu m’appelles ma biche et depuis, je n’ai plus de nouvelles. Je vois aujourd’hui que tu m’as bloquée sur les réseaux sociaux. Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ? Je me demande.

Et toi ? Tu es un homme violent. Avec moi, tu as usé de violence psychologique et de violence physique. Je ne me rappelle pas tout. J’ai oublié la plupart. J’écris ici notre histoire, car elle est belle, elle est moche, elle est intense et elle a fait rêver, un jour. J’ouvre les yeux avec mon féminisme : rien n’excuse la violence, et plus jamais je ne veux te revoir. 

Avril 2014. Je sors d’une relation de trois ans avec un copain du lycée. Je me lasse, je le quitte. Je te rencontre pendant mes études à Lille. Tu me dragues toute l’année. Je te repousse. Pendant une soirée étudiante, je change d’avis et décide de t’embrasser. Nous rentrons chez toi et faisons l’amour. Je ne ferme pas l’oeil de la nuit. Les jours suivants, je te repousse à nouveau. Je ne veux plus de toi. Je pars en vacances et tu continues à m’envoyer des messages. Je me demande si les hommes comprennent quand je ne réponds pas à leurs messages ? Toi, tu insistes jusqu’à ce que je craque. Oui, je craque. Je te réponds et nous entamons une conversation à distance. Nous échangeons des textos pendant des jours et je décide de te rejoindre chez tes parents, en Bretagne. Je prends le train à la fin des vacances pour faire l’amour dans ton lit d’enfant. Commence l’habituelle lune de miel. Nous restons ensemble plusieurs mois puis nous quittons car nous déménageons de Lille. Notre relation à distance se casse la tête. Je pars étudier à Moscou, en Russie. Toi à Varsovie, en Pologne. Nous nous retrouvons furtivement pour un week-end à Riga, en Lettonie. Nous tentons de vivre notre amour à distance. Je crois que je t’aime. Tu te dis amoureux de moi. 

Janvier 2015. Je prends l’avion pour te retrouver en Pologne. Je passe plusieurs jours avec toi à Varsovie. Nous sortons faire la fête avec tes ami.e.s Erasmus. Un soir, nous dansons dans une boîte de nuit bien loin de ton appartement. Nous buvons et nous décidons de nous séparer momentanément pour draguer chacun.e de notre côté dans la fête. C’est une blague. Nous nous retrouvons une heure plus tard, sans avoir dragué personne. Nous sortons pour rentrer à la maison. Devant la boîte de nuit, je rencontre un homme inconnu avec lequel je rigole quelques minutes. Quand j’interromps notre conversation pour te retrouver, tu as disparu. J’avance jusqu’à l’arrêt de bus, sans te trouver. Je n’arrive pas à t’appeler, je n’ai plus de batterie. J’attends longtemps, dans le froid, sous la neige. Je me sens désespérée. Je prends finalement un taxi pour rentrer seule à ton appartement. Je retrouve ta chambre vide : tu n’es pas rentré. Je m’allonge dans le lit et m’assoupis rapidement. Tu rentres plus tard, toujours ivre. Tu me réveilles et t’énerves. “Quelque chose de très grave s’est passé », tu me dis. Tu refuses de m’en dire plus. Tu me hurles dessus pour une raison que j’ignore. Tu me menaces et me fais passer pour responsable de la situation. A un moment, tu prends ma valise ouverte, remplie de mes affaires, et tu me la jettes dessus. Tu me fais mal. Je ne comprends rien. Je reprends mes affaires éparpillées par terre. Je les range une à une dans ma valise. Je me prépare à quitter cet appartement, je veux partir. Je ne me sens plus en sécurité. Tu t’accroches à mes poignets et me supplies de rester. Je ne me rappelle plus ce que tu me racontes. Je décide de rester et nous nous endormons. Le lendemain matin, tu continues ton délire. Tu me répètes : “Quelque chose de très grave s’est passé hier soir. » Je demande quoi. Tu me racontes être rentré à pied depuis la boîte de nuit, située très loin. Tu es tombé sur deux hommes qui t’ont agressé. Tu t’es défendu et tu les as frappés. Tu as tué l’un d’entre eux en donnant un coup trop fort. Il est tombé et il ne s’est pas relevé. Tu es rentré après. Cet accident explique ton état psychologique. Il explique ta violence. Je te crois. Je suis choquée. Je te propose de nous rendre au commissariat pour tout raconter à la police. Tu refuses. Quelques heures plus tard, tu changes de version. Tu as tout inventé. Tu n’as croisé personne en rentrant. Tu n’as tué personne. Je ne comprends pas. Je me sens démunie. Je me sens soulagée. Nous ne reparlons pas de ta violence physique envers moi. Je repars quelques jours plus tard en Russie.

Cet épisode violent n’est pas le seul. Juin 2015. Je quitte Moscou pour te rejoindre de nouveau à Varsovie. Nous nous rendons dans une nouvelle boîte de nuit, avec tes ami.e.s. Nous buvons des bières : elles sont gratuites si commandées avant minuit ! Je me rends aux toilettes sans te le dire. Dès que je disparais, tu me cherches. Tes amis te rassurent : je suis aux toilettes. Tu décides de m’attendre devant. Mais je viens d’en sortir et je ne t’ai pas vu. Je ne te trouve nulle part. Je vais danser puis je sors sur la terrasse. Je fais la queue pour prendre une nouvelle bière : l’attente dure longtemps. Dans la cohue, je rencontre des jeunes. Je discute avec plusieurs hommes, je ris un peu. J’atteins le bar où j’obtiens enfin ma bière. Je continue ma discussion avec un Polonais. Tout à coup, je sens une main saisir mon col et me tirer violemment vers l’arrière. Tu viens me prendre pour m’éloigner de cet homme. Tu me cries dessus, comme si j’étais une enfant. “Ça fait deux heures que je t’attends aux toilettes, et je te retrouve là !”, tu m’accuses. J’essaie de discuter avec toi mais c’est impossible. Tu me fais la tête. Tu ne parles plus. Un peu plus tard, nous quittons la fête pour rentrer à ton appartement. Sur le chemin du retour, tu marches loin devant moi. Je marche lentement, je crains ta violence à notre arrivée chez toi. Je te perds de vue. Je me retrouve perdue dans Varsovie. Je laisse tomber mon téléphone par terre et l’écran se casse. Après plusieurs heures, je retrouve ton appartement. Tu ne m’adresses pas un mot. Nous nous couchons avec ta haine et ma culpabilité. Le lendemain, nous prenons l’avion pour Paris dans une atmosphère gelée. Tu me fais porter la responsabilité de notre dispute. 

Notre relation dure encore quelques mois. Nous nous quittons, nous nous remettons ensemble. La plupart du temps, tu te comportes comme un amour, tu m’envoies des messages tendres, tu me sers dans tes bras, tu me dis à quel point tu m’aimes. Dès que tu avales de l’alcool, tu deviens un autre homme. Tu te montres jaloux, possessif, agressif et violent. Je refuse de t’accompagner en soirée, désormais. Nous faisons la fête chacun.e de notre côté. Le matin, je retrouve parfois sur mon téléphone des messages alcoolisés que tu m’as laissés pendant la nuit. Tu enregistres ta voix pendant de longues minutes pour me répéter que tu m’aimes et me supplier de te garder comme copain, sinon tu vas mourir, etc. Tes messages sont décousus et insensés. Je ne les écoute plus. À l’été 2016, je te quitte définitivement. Tu ne supportes pas la rupture et m’accuses de coucher avec d’autres hommes. 

Nous reprenons contact quelques mois plus tard. Je crois que nous redevenons ami.e.s. Novembre 2017. Je te rends visite à Strasbourg, où tu étudies. Je passe quelques jours avec toi, nous dormons et couchons ensemble, quelquefois. Un soir, nous rendons visite à un de tes amis. Nous buvons et fumons dans son appartement. Il est dépressif. Il nous propose des médicaments : des antidépresseurs et des anxiolytiques, comme drogue. Tu en prends volontiers. Vous m’incitez à en prendre : “Tu verras, ça te détendra”. Je refuse. Vous me traitez de dégonflée, de nulle, de chiante. Vous essayez de me faire avaler ces médicaments de force. Plus je refuse, plus vous insistez. Je finis par claquer la porte. Je rentre toute seule à ton appartement, en me sentant coupable, de nouveau. Cette nuit-là, tu ne rentres pas. Le lendemain, est-ce que tu me présentes tes excuses ? Je ne crois pas. Je rentre à Paris avec la certitude que tu es complètement con. Nous nous revoyons à une ou deux reprises pour prendre des bières dans la capitale, et nous raconter nos vies. Tu as trouvé une nouvelle copine, tu retournes vivre et travailler en Bretagne. Je reste à Paris, et je trouve un copain moi aussi. Il n’est pas violent. Je ne te parle jamais de ta violence. Tu n’évoques jamais la question. Tu ne m’as jamais donné de gifle ou de coup de poing. Tu ne m’as jamais violée. Est-ce que tu es un homme violent ? Oui. L’alcool est un facteur aggravant. Rien ne justifie la jalousie. Rien ne justifie la violence.

Je ne porte pas plainte. Je ne te demande pas de comptes. Je ne t’en parle pas. Je laisse cet épisode derrière moi. Peu de mes ami.e.s le connaissent. J’écris ce podcast pour rendre compte de ta violence psychologique : tu me manipules, tu me menaces, tu m’insultes. Pour rendre compte de ta violence physique : tu me jettes des objets sur la tête, tu m’agrippes comme un objet. Je n’ai mis des mots sur cette violence qu’en 2019. J’ai lu, entendu, écrit sur les violences conjugales, jusqu’à me rendre compte qu’elles me concernent. Je dénonce les hommes violents et les féminicides. Entre 20 et 22 ans, j’ai connu un homme violent. Je t’ai laissé me toucher et “m’aimer” pendant deux ans. Aujourd’hui, j’ai peur de te blesser avec ce podcast. Je me sens coupable de ne pas avoir réagi, de ne pas t’avoir dénoncé et de ne pas t’avoir quitté plus tôt. Je suis convaincue que tu montres la même violence avec ta copine actuelle. Avec les précédentes, avec les suivantes. Je suis convaincue que tu bois encore de l’alcool. 

Est-ce que je saurai me défendre la prochaine fois ? Est-ce que je saurai dire stop ? Est-ce que mon entourage saura voir la violence dans mon couple ? Je ne crois pas. Je me demande moi même si je n’ai pas été violente mes conjoints, parfois. Est-ce que je suis une femme violente ? Je me sens coupable de t’accuser. Est-ce que je dois publier cet épisode ? Je doute de tout, surtout de moi. Ce dont je ne doute pas, c’est que tu es un homme violent.

Et toi, autiteurice, je te parle à toi maintenant. Tu viens d’écouter l’épisode 4 de mon podcast Marie Sans Filtre. Je le dédie à toutes les personnes victimes de violence. À tous les hommes violents. Qu’ils puissent m’écouter et m’entendre. Penses-tu que le couple engendre la violence ? Que toutes les violences ne se valent pas ? Que mon histoire est grave ? Écris-moi sur les réseaux sociaux. Partage ce podcast autour de toi. Je crains ne pas être la seule à raconter cette histoire. Je crains ne pas être la seule à culpabiliser et à douter. Peut-être un jour, je n’aurai plus peur. 

Marie Albert

2 janvier 2020

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Marie Albert

Aventurière, journaliste et autrice féministe

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